Le temps est-il essentiellement destructeur ?

Un double processus

Quelle est l’essence du temps ? Est-ce la destruction ? Il est vrai que rien ne résiste au temps, que tout cède devant lui. Synonyme d’érosion, d’usure et de ruine pour les choses, il est le principe de l’oubli pour l’esprit et le véhicule de la déchéance, de la mort et de la décomposition pour les êtres vivants. Pour les êtres humains, la course inexorable du temps s’accompagne également d’horreurs et de souffrances. Des souffrances redoublées par la conscience qu’ils ont d’être mortels car, si les hommes pâtissent des effets du temps, ils savent aussi qu’ils sont voués à mourir, ce qui peut les porter au désespoir en suscitant en eux le sentiment malheureux que la vie n’a pas de sens. À quoi bon vivre en effet si c’est pour mourir ? Le mieux n’eût-il pas été de ne pas être né ? De prime abord, il semble donc que la détermination la plus intime du temps soit son action négatrice. Mais à mettre l’accent uniquement sur le caractère destructeur du temps, ne le réduit-on pas à l’un de ses aspects seulement ? Car il ne faut pas oublier que le temps c’est aussi la vie et que rien ne se fait sans lui. Le temps gouverne en effet les processus de genèse, de croissance et de maturation. Il est également l’élément du développement de l’histoire humaine puisque c’est sous l’horizon du temps que des progrès historiques peuvent s’accomplir, tout comme il apporte à l’esprit parvenu au point de maturité la sagesse et la sérénité dans la conduite de la vie. Autant de facettes positives qui montrent qu’on aborderait le temps de manière unilatérale en le réduisant à son aspect défaisant. Quelle est alors la nature propre du temps ? Qu’est-ce qui le constitue au plus intime exactement ? Est-ce sa puissance destructrice ou bien son pouvoir créateur ?

Le caractère destructeur du temps

Héraclite et le mobilisme universel

Ce qui suscita l’étonnement des premiers penseurs qui, dans la Grèce du début du VIe siècle avant Jésus-Christ, développèrent pour la première fois une connaissance rationnelle de la nature, ce fut le spectacle du changement. Tout change sans cesse, tout est en perpétuel devenir. La première question philosophique qui se posa alors s’énonça à peu près ainsi : « qu’y a-t-il qui persiste à travers le changement ? » À cette question, les philosophes de l’école de Milet [1] donnèrent des réponses différentes. Pour Thalès, le « principe » [2] premier de toutes choses, c’est l’eau. Pour son successeur Anaximandre, ce principe fondamental n’est pas un élément naturel mais quelque chose d’indéterminé et d’invisible qu’il appelle « l’illimité » [3], tandis que pour Anaximène, c’est l’air. Héraclite reprit la question posée par les Milésiens. On ne sait presque rien de cet homme qui vécut à Éphèse, une cité voisine de Milet. Il a peut-être écrit lui-même un livre (à moins qu’il n’ait été composé par des élèves pour garder la mémoire des paroles du maître), sans doute un papyrus qui avait la forme d’un rouleau [4], mais ce livre dont nous ne savons pas avec certitude le titre a été perdu [5]. Les auteurs anciens en ont cependant conservé plus d’une centaine de fragments, de brèves sentences, le plus souvent énigmatiques, d’où le surnom d’« Obscur » [6] qu’on donna à Héraclite.
Abraham Janssens van Nuyssen, Héraclite, v. 1609,
huile sur toile, 64,1 x 50,8 cm, collection privée.
Héraclite reprit donc la question posée par les philosophes de Milet et y répondit en affirmant que c’est le feu qui constitue le principe dominant. Pourquoi le feu ? Parce qu’il est l’incarnation du temps dans la nature. Le feu est en effet un processus, un devenir. Ne restant jamais figé mais prenant constamment des formes variées, il se maintient en changeant toujours, tout comme le temps qui perdure sans jamais demeurer le même. Le feu a donc les traits du temps. Il est la manifestation physique et concrète du devenir perpétuel qui affecte la nature et la gouverne en son ensemble. Deux célèbres fragments d’Héraclite mettent en avant ce devenir permanent auquel est soumis l’Univers : « Tout s’écoule » ; « On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve » [7]. Ces paroles résument ce qu’on a appelé le mobilisme héraclitéen : tout est en mouvement, tout se meut à la manière d’un fleuve, et on n’entre jamais deux fois dans le même fleuve car, lorsqu’on y retourne, l’eau de naguère étant déjà loin, c’est une autre eau, un autre fleuve.

Dans un autre fragment, Héraclite compare le temps à un enfant joueur : « Le temps est un enfant qui joue en déplaçant les pions : la royauté d’un enfant » [8]. Comment comprendre cette mystérieuse déclaration ?

Les Grecs du VIe siècle avant notre ère avaient pour habitude de jouer à un jeu, celui de la petteia (πεττεία, en grec ancien) ou jeu des « jetons » (pessoi/πεσσoί) [9], un jeu de stratégie s’apparentant au jeu de dames. Les pions se déplaçaient sur cinq lignes horizontales et cinq lignes verticales, soit vingt-cinq points d’intersection. Chaque joueur avait cinq pions d’une couleur différente, généralement noire et blanche, et l’objectif était de bloquer le pion de l’adversaire entre deux pions à soi. Héraclite avait-il à l’esprit ce jeu lorsqu’il présente le temps comme un joueur ? C’est l’hypothèse qu’avancent d’éminents commentateurs d’Héraclite [10]. Dans la petteia, les pions forment en effet un étau qui se resserre. Or, c’est justement l’effet du temps sur l’être humain : l’espace de liberté de l’homme qui va vers la mort se resserre comme celui du joueur qui pressent l’échec. Progressivement, la vieillesse, la maladie et tous les effets négatifs du temps immobilisent l’homme, immobilité qui signifie pour lui la mort. Car le jeu des jetons est une sorte de jeu de guerre qui se termine par la défaite de l’adversaire. Peu à peu, le joueur perd ses pions et un renversement de situation s’opère qui s’avère fatal.
Exékias, Achille et Ajax jouant, 540-530 av. J.-C,
amphore attique à figures noires, provenance Vulci, hauteur 61 cm,
Musée grégorien étrusque, Vatican.
Mais pourquoi Héraclite compare-t-il le temps à un enfant ? Sans doute parce que le temps est l’essence intime du devenir et que l’enfant, plus encore que l’adulte, est un être en devenir, porteur d’un riche avenir. Sans doute aussi parce que l’enfant, contrairement à l’adulte, est encore irresponsable et que si le temps fait des perdants, ceux qui vont souffrir puis mourir, ce n’est pas pour leur faire payer une faute ou réparer une injustice car le temps ignore, comme l’enfant, les concepts de bien et de mal. Il est innocent et s’il joue, c’est pour rien, c’est pour le jeu lui-même. À cet enfant joueur qu’est le temps, Héraclite accorde enfin la royauté, c’est-à-dire le pouvoir suprême. Pour quelle raison ? Parce que le temps est tout-puissant, comme un roi, et le roi est toujours le plus fort. Devant la puissance royale du temps, marqués qu’ils sont d’une faiblesse et d’une impuissance absolues, les hommes ne peuvent en effet que s’incliner. Un enfant joueur détenteur d’une toute-puissance fatale, voilà donc comment Héraclite d’Éphèse se représentait le temps.

L’entropie et la dimension tragique du temps

Avec le concept de l’entropie, la physique moderne a forgé un principe conceptualisant l’adversité du temps et son effet destructeur. Du grec ancien entropía qu’on traduit littéralement par « tour », le terme d’entropie signifie l’« involution », l’« action de se retourner » (pris au sens de l’« action de se transformer »). La science qui étudie cette action physique s’appelle la thermodynamique [11]. Cette branche de la physique analyse les phénomènes impliquant des échanges ou des transformations thermiques et l’entropie fut le terme proposé en 1865 par le physicien allemand Rudolf Clausius [12] pour en formuler le deuxième principe, lequel prévoit l’affaiblissement inévitable de l’énergie au sein de tout système matériel, vivant ou non. Comme l’explique Jacques Monod, «  le deuxième principe prévoit la dégradation inéluctable de l’énergie au sein d’un système isolé, tel que l’univers. L’"entropie" est la quantité thermodynamique qui mesure le niveau de dégradation de l’énergie d’un système. Selon le deuxième principe par conséquent, tout phénomène, quel qu’il soit, s’accompagne nécessairement d’un accroissement d’entropie au sein du système où il se déroule » [13]. Selon la physique moderne, l’univers entier est ainsi dirigé par une loi de fer qui pointe vers la dégradation irréversible et l’anéantissement.

La puissance du temps est donc tragique non seulement parce qu’elle rejette tout ce qui est dans le néant, mais également parce que les êtres humains doivent lui être soumis comme des éléments parmi d’autres de la nature. D’où la comparaison que fait le poète et philosophe allemand Friedrich Hölderlin entre les hommes qui meurent et l’eau qui tombe, projetée de rocher en rocher :

« Mais à nous il échoit
De ne pouvoir reposer nulle part.
Les hommes de douleur
Chancellent, tombent
Aveuglément d’une heure
À une autre heure,
Comme l’eau de rocher
En rocher rejetée
Par les années dans le gouffre incertain ». [14]

Cherchant en vain à retenir le temps – et à se retenir – mais subissant sans jamais pouvoir l’arrêter son écoulement, les hommes sont jetés en avant d’eux-mêmes, forcés à aller d’un pas obligatoire vers un avenir inconnu, vers l’« incertain », pour finir par tomber, sans jamais pouvoir l’éviter, dans le « gouffre » de la mort. Sombre métaphore qui donne à penser dans un langage poétique ce qu’a de dramatique la vie des êtres humains, le cours du temps les entraînant inexorablement vers leur destin.

Alberto Giacometti, L’homme qui marche I, 1960,
sculpture en bronze, 183 x 25,5 x 95 cm, Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence.

Le temps comme source d’altération et de corruption

Le temps apparaît également sous un jour négatif dans la pensée d’Aristote qui montre que l’effet principal et essentiel, sinon unique qu’il produit est la destruction. Dans le livre IV de la Physique, le Stagyrite insiste en effet à deux reprises sur le caractère destructeur du temps. Une première fois pour articuler les deux aspects du temps comme nombre du mouvement et cause de destruction, et une seconde fois pour expliquer la primauté de la corruption sur la génération au sein du temps. Lisons le premier passage.
Aristote, Physique, Livre IV, chap. 12, 221 a, l. 30-32 - 221 b, l. 1-5
Extrait n° 1 : Le temps comme nombre du mouvement et cause de destruction.
(Cliquez sur l’image pour lire l’extrait).
Être dans le temps, c’est subir l’effet corrosif du temps qui consume, vieillit et fait oublier toutes choses. Pour qualifier cette action négatrice du temps, Aristote emploie le terme de « corruption » qui désigne le fait de passer de l’être au néant. Le temps n’est donc pas simplement responsable d’altération, en dégradant seulement l’état des choses, il est également cause de corruption, en pénétrant jusqu’au cœur des êtres dont il programme la destruction. Ce caractère destructeur du temps est lié selon Aristote au mouvement dont le temps est le « nombre » ou la mesure. En effet, le passage incessant du temps, et l’action que ce changement perpétuel provoque sur les êtres, les déstabilise et les « renverse » en défaisant leur permanence. Bien qu’Aristote ne nie pas l’existence de la génération dans le temps, attestée par l’apparition continuelle d’êtres nouveaux, il affirme cependant le primat de la corruption, avançant que si le temps est insuffisant pour apprendre, il est en revanche parfaitement suffisant pour oublier. C’est dans le deuxième passage de la Physique où il souligne l’aspect destructeur du temps qu’Aristote précise les raisons qui le conduisent à soutenir cette thèse de la primauté de la corruption sur la génération au sein du temps. Examinons attentivement ce second passage.
Aristote, Physique, Livre IV, chap. 13, 222 b, l. 16-27
Extrait n° 2 : Le primat de la corruption sur la génération.
(Cliquez sur l’image pour lire l’extrait).
Si le temps est insuffisant pour apprendre, il est parfaitement suffisant pour oublier, affirmait Aristote. C’est ce qui le conduit ici à prendre le parti non pas de Simonide ou de Thalès qui attribuent au temps la plus grande sagesse [15] puisqu’il amène la vérité à se révéler et l’homme vieillissant à devenir sage, mais du pythagoricien Paron [16] qui estime au contraire que le temps est source d’ignorance parce qu’il est le principe même de l’oubli. Il est vrai que si le temps suffit pour oublier, il ne suffit pas pour apprendre car le savoir a besoin d’une cause spécifique – un effort de l’esprit – pour advenir et progresser. Autrement dit, si l’on ne fait rien, rien n’advient et les êtres et les choses finissent par disparaître ; à l’inverse, si l’on agit, elles naissent, se maintiennent et se développent. Le temps détruit donc ce qui s’engendre en lui mais il n’engendre pas car rien ne provient du temps uniquement. Cette asymétrie démontre aux yeux d’Aristote que le temps est en soi « plutôt responsable de corruption que de génération ». Si le temps est cause de génération, c’est seulement « par accident ». Pour saisir le sens de cette affirmation, on peut ramener le raisonnement d’Aristote à trois propositions : a) ne faisant pas exister les êtres par lui-même, le temps n’est pas le principe de leur engendrement ; b) or, sans temps, il est impossible qu’un être quelconque vienne à l’existence puisque tout ce qui est engendré l’est dans le temps, de sorte que si le temps n’est pas le principe de l’engendrement, il en est par contre la condition ; c) c’est donc « par accident » que le temps est cause de génération, puisqu’il ne produit pas par lui-même l’engendrement mais le rend seulement possible. On comprend dès lors pourquoi Aristote estime que le temps est cause de destruction plutôt que de génération car si le temps est cause « par accident » de l’engendrement, il est en revanche dans l’essence même du temps de produire la destruction. Il suffit en effet de laisser faire le temps, c’est-à-dire d’attendre assez longtemps, pour que les êtres comme les choses soient anéantis. Cette conception du temps étant relativement courante chez les Grecs [17], Aristote fait appel au sens commun pour valider son jugement en mentionnant « l’habitude » que nous avons de penser le temps comme essentiellement défaisant, opinion dont il a démontré le bien-fondé en fournissant sinon une preuve du moins une raison de ce que le temps est plutôt cause de destruction.

La force créatrice du temps

Vers une réhabilitation philosophique du temps

Tout s’en va-t-il alors « avec le temps », comme le dit Léo Ferré dans sa célèbre chanson sortie en 1971 ? N’est-il qu’une puissance hostile que l’homme est condamné à subir ? Non, car le temps n’est pas seulement quelque chose de négatif qui fait violence aux êtres et aux choses, il est également une force qui rend possible les processus de création et d’évolution. Si le temps est d’abord une puissance adverse, l’homme peut aussi se réconcilier avec lui et en faire un allié en le transformant en un élément du développement de sa propre histoire car l’esprit humain peut dépasser l’écoulement absurde du temps en lui donnant un sens, celui du progrès historique. On peut ainsi se démarquer de la tradition aristotélicienne et présenter le temps sous un jour meilleur en mettant l’accent sur sa dimension positive. C’est ce qu’entreprennent deux auteurs dont la philosophie oriente la compréhension du temps dans un sens nouveau et lui assure une authentique réhabilitation : Georg Hegel et Henri Bergson.

Hegel et le progrès historique

À l’encontre de la philosophie d’Aristote qui déprécie le temps en le présentant de manière négative, Hegel entreprend dans la Phénoménologie de l’esprit de le réhabiliter en montrant comment l’homme peut dépasser le temps de la nature et se réconcilier avec sa puissance en en faisant un élément du développement de sa propre histoire. Mais comment s’opère, au juste, cette réconciliation ? Par quelles médiations l’homme parvient-il à convertir le temps naturel en temps historique ? Selon Hegel, c’est le travail de la mémoire et du langage qui permet cette transfiguration du temps. Grâce au souvenir, à la parole et à l’écriture, l’homme peut en effet résister au travail négatif du temps en préservant le passé de l’oubli. Cette conservation du passé permet de dépasser le temps absurde de la nature fait d’une succession indéfinie d’instants et de créer un autre temps, celui de l’histoire, où la succession des événements possède une signification. Loin d’avoir pour but de cultiver une mémoire nostalgique du passé, ce travail de remémoration est ouverture vers l’avenir car, s’il préserve les événements de la négativité corrosive du temps en retenant le passé et en lui donnant un sens, c’est pour rendre possible un progrès temporel. En comprenant le sens de sa propre histoire, l’homme peut en effet agir pour la transformer. La force de la mémoire et du langage n’est donc pas seulement nécessaire à la conservation du passé, elle réside également dans sa capacité à créer l’avenir afin que s’y accomplisse un progrès. À travers le récit, ce « gardien du temps » [18] où langage et mémoire s’entrelacent, l’homme ne neutralise certes pas la négativité du temps mais il s’en libère en faisant du devenir une trame dans laquelle il peut tisser son histoire. Conservant une attitude créatrice devant le temps, il lui est alors possible de se réconcilier avec sa puissance en la transformant en une condition du progrès historique.
Mnémosyne, v. -25 av. J.-C - 100 ap. J.-C.,
château de Compiègne (photo Michel Chretinat, 2010).

Le temps comme puissance de création continue

Contemporain du grand renouveau de la biologie qu’offrait la théorie de l’évolution de Darwin, le philosophe français Henri Bergson entend également réhabiliter le temps. Mettant en relief sa force créatrice, il rappelle que le temps est « création continue d’imprévisible nouveauté » [19]. Dans le règne du vivant, il est vrai que l’effet créateur et imprévisible du temps est un fait d’expérience. Ouvrant sans cesse sur une production de nouveauté, l’évolution est un processus qui implique la création continue de formes de vie nouvelles dont la complexité va croissant et dont l’apparition n’est pas prédictible. Le devenir de la vie est une évolution continûment créatrice, un jaillissement et une efflorescence d’une nouveauté dont la pensée ne saurait anticiper les formes à venir. Plus nous approfondirons la nature du temps, plus nous comprendrons qu’il est « invention, création de formes, élaboration continue de l’absolument nouveau » dit Bergson [20]. L’évolution du vivant révèle ainsi la force créatrice du temps qui, loin de ressembler à un enfant joueur dont la toute-puissance serait fatale, s’apparente plutôt chez Bergson à un artiste s’exprimant sans cesse de façon inédite et créative.

Temps et destin

La mort, une objection au sens de la vie...

Comment alors définir la nature propre du temps si, tel un Janus, il présente deux visages diamétralement opposés ? Ne doit-on pas renoncer à concevoir son unité et la penser comme pleinement double ? Personnifiant le temps dans la mythologie grecque et dévorant ses enfants au fur et à mesure de leur naissance, la figure de Kronos symbolise ce dédoublement du temps.
Francisco de Goya, Saturne dévorant un de ses fils, 1819-1823,
huile sur toile, 146 x 83 cm, Musée du Prado, Madrid (détail).
Malgré l’homonymie des deux noms, gardons-nous d’ailleurs de confondre Kronos [21], roi des Titans et père de Zeus, avec Chronos [22], le Temps élevé au rang de divinité primordiale dans la tradition orphique. Devant ce dieu Temps, souvent représenté comme un vieil homme ailé, armé d’une faux et muni d’un sablier (les ailes symbolisant le temps éphémère, le sablier, le temps qui ne cesse de diminuer, et la faux, l’inéluctabilité de la mort) [23], les hommes sont comme face à leur destinée, impuissants. Voués à mourir, ils sont condamnés à vivre dans la proximité de ce malheur impossible à éviter. Et il n’en faut pas beaucoup pour mourir, il suffit de venir au monde. « Dès qu’un homme naît, il est assez vieux pour mourir » affirme la mort dans le dialogue de Johannes von Tepl Le Laboureur de Bohème [24]. On peut craindre que ce rappel à l’homme de la précarité de son existence n’assombrisse sa vie et le rende solitaire et morose. Anéantissant inévitablement la vie, la mort semble en effet ôter à notre présence dans le monde sa signification profonde. Car on constate que cette destruction peut opérer à tout moment. Planant comme une menace permanente, la mort n’est pas un lointain futur ; à chaque minute elle peut plonger dans le néant notre vie et, avec elle, tout ce que nous avons entrepris. Notre action dans le monde semble alors frappée d’inutilité. À quoi bon tenter de réaliser ce qui peut être défait à tout instant ? C’est cette inutilité des efforts humains que rappelle l’Ecclésiaste [25] dans La Bible : « Vanité des vanités [26], tout est vanité [27]. [...] On ne se souvient pas des premiers hommes ; et ceux qui viendront dans la suite ne laisseront pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard. [...] J’ai vu toutes les œuvres qui se sont faites sous le soleil. Et voici, tout est vanité et poursuite du vent » [28]. La mort semble ainsi abolir le sens de la vie et nous condamner à la mélancolie. Mais, à bien y réfléchir, la conscience du fait que nous soyons mortels n’est-elle pas un précieux stimulant ?

... ou une invitation à l’action ?

En effet, en limitant notre temps dans le monde, la mort nous fait prendre conscience que le temps nous est compté si nous voulons y inscrire la marque de notre esprit. Elle nous pousse donc à agir, agir sans cesse, agir vite pour la créer. La mort est ainsi l’éperon de la vie, un aiguillon qui nous pousse à l’action. De ce point de vue, loin d’abolir le sens de notre existence, la mort tend au contraire à le renforcer, comme l’a montré Søren Kierkegaard dans le dernier de ses Trois discours sur des circonstances supposées intitulé « Sur une tombe », un bref discours publié en 1845 dans lequel le philosophe danois s’interroge sur le rapport que l’homme doit entretenir avec la pensée de la mort [29].
Søren Kierkegaard, « Sur une tombe ».
Extrait : La mort comme aiguillon de l’action.
(Cliquez sur l’image pour lire l’extrait).
Dans cet extrait, Kierkegaard présente trois attitudes possibles face à la mort, chacune correspondant à un profil d’existence particulier. La première est la conduite de l’homme dont la doctrine est celle de l’hédonisme [30] pur, c’est-à-dire de la recherche systématique du plaisir. Cette doctrine d’Aristippe de Cyrène [31] – contemporain de Socrate – représente une attitude typique et commune, celle d’Horace et de son Carpe diem (« Cueille le jour ») [32] ; celle de Ronsard dont la métaphore finale de l’un de ses célèbres sonnets invite aussi à profiter de l’instant présent : « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie » [33] ; celle également de Jean-François Rameau, l’un des deux personnages du dialogue écrit par Denis Diderot Le neveu de Rameau qui, se moquant de toute morale, fait l’éloge de la jouissance et du plaisir débridé en déclarant : « Boire de bon vin, se gorger de mets délicats, se rouler sur de jolies femmes ; se reposer dans des lits bien mollets. Excepté cela, le reste n’est que vanité » [34]. Le plaisir faisant le bonheur de la vie, celle-ci doit lui être consacrée et, comme la vie est courte, il faut se hâter d’en jouir. Tel est le raisonnement sur lequel s’appuie l’hédoniste pour mener son existence. Or, condamnant sans réserves cette manière de vivre se réduisant à la sensualité, Kierkegaard la juge lâche parce qu’elle fuit la pensée de la mort et méprisable car elle ravale l’homme à l’animalité en limitant la vie humaine à la simple satisfaction des besoins vitaux. À ses yeux, l’homme plus profond chez qui est présente l’idée de la mort s’élève déjà à une forme de vie supérieure, mais s’il n’en tire que la conscience malheureuse de son impuissance devant le fait de devoir mourir et si, accablé par cette idée, il se rend incapable de toute réaction positive, son attitude, bien que moins superficielle que celle qui consiste à s’étourdir dans les plaisirs charnels, est tout aussi inconséquente car elle conduit par son pessimisme à désespérer de la vie et à refuser le combat pour la mener. Reste alors une dernière attitude, celle de « l’homme animé de sérieux » [35] pour qui la pensée de la mort, loin d’entraîner le découragement, est une source d’énergie à nulle autre pareille car elle lui fait prendre conscience qu’il faut faire tendre toute son énergie vers un but bien défini et qu’il n’y a pas de temps à perdre, que chaque moment compte, aussi court soit-il, pour tâcher de l’accomplir. Grâce à cette stimulation de l’urgence, il « travaille de toutes ses forces à plein rendement » [36], ayant compris que l’idée de la mort représente une invitation à l’action et non l’occasion de désespérer et de se laisser aller à la passivité.
Albrecht Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable, 1513,
gravure sur cuivre, 24,6 x 18,8 cm, Musée des Offices, Florence.
Quelle attitude adopter alors face à la puissance du temps ? Faut-il se résigner ? Lutter pied à pied ? Essayer de lui échapper ? Vers quelle sagesse doit-on se tourner pour ne pas trop souffrir du fait de notre appartenance au temps et vivre la meilleure vie possible ?

La sagesse tragique

Parce qu’il est dans une passivité fondamentale relativement au temps dont la puissance l’entraîne inexorablement vers la mort, l’homme en fait un ennemi et cherche constamment à lutter contre lui. Cette lutte prend bien des aspects : 1°) par la mémoire qu’il garde de lui-même comme de l’humanité, il se révolte contre l’opération du temps faisant tout glisser à l’oubli et au néant ; 2°) par la religion, il se persuade que la mort n’est que le passage d’une vie à une autre et comble son désir d’immortalité en croyant à sa survie indéfinie ; 3°) par la métaphysique, il forge la notion d’être, qu’il oppose à celle du devenir, et projette un monde vrai, soustrait au temps et au changement, un monde permanent et éternel qu’il dissocie du monde réel ; 4°) par la moralité, toujours plus ou moins liée à l’idée d’un dieu qui viendrait la sanctionner, il s’estime en droit d’être récompensé dans un autre monde où ses mérites ne seront jamais effacés ; 5°) par la reconnaissance qu’il désire obtenir socialement, il cherche à travers ses œuvres ou ses activités à s’élever au-dessus de la temporalité et à se sauver de la mort en acquérant de la notoriété.

Résister au temps, voilà donc ce à quoi l’homme s’est toujours efforcé pour ne pas sombrer dans un pessimisme radical. Cette lutte a engendré en lui un ressentiment contre le temps qui a conduit les grands systèmes de pensée religieux et métaphysiques à déprécier tout ce qui est éphémère et à n’accorder de valeur qu’à ce qui demeure. Or cette attitude vis-à-vis du temps est équivoque car, si elle exprime le refus de se résigner, elle apparaît également comme une attitude de fuite et d’irresponsabilité puisqu’en cherchant à esquiver, à amortir ou à abolir la puissance du temps, on oublie sa condition d’être mortel et on refoule la crainte de la mort au lieu de l’assumer dans le courage. Ne doit-on pas alors vivre notre rapport au temps autrement ? Accepter notre condition et en dérouler la logique jusqu’au fond, en admettant que, face au temps, on est sans possibilité de soustraction ou d’exception ? En ne se masquant pas ce qu’il y a d’effrayant et de dérisoire dans la condition humaine mais en assumant notre destin et en regardant les choses sans illusion ? On peut en effet considérer comme illusoires toutes les suppositions prétendant évacuer la négativité du temps, non parce qu’elles seraient fausses (on ne peut pas démontrer que Dieu n’existe pas ou que l’âme ne survive pas indéfiniment), mais parce qu’en dissimulant le néant auquel tout est voué et l’impuissance fondamentale de l’être humain face au passage du temps, à l’oubli et à la mort, elles escamotent la réalité et font ainsi fonction d’illusion. Mais quel avantage trouvera-t-on à vivre sans œillères ? À vivre en mortel ?

Vivre en admettant que nous ne disposons que d’une part de temps limitée et que l’anéantissement est notre destin comme celui de tout ce qui est, c’est vivre en vérité et dans la responsabilité, sinon on vit dans la fausseté et l’irresponsabilité en se masquant ce qui nous attend et en refusant d’assumer la brièveté de la vie. Vivre de cette manière permet également de vivre sereinement et aussi joyeusement que possible car à se faire l’ennemi du temps, on se condamne à le subir comme une puissance adverse, ce qui peut susciter des sentiments négatifs comme la haine envers lui ou la tristesse d’avoir à vivre en lui, alors que consentir au temps permet de moins en pâtir puisqu’en se laissant aller avec lui d’un même pas, on peut en faire un complice et en éprouver la puissance créatrice.

Si donc l’on se place dans l’hypothèse que rien ne peut nous sauver du temps qui passe, il ne nous reste plus qu’à surmonter courageusement la crainte de la mort, sans chercher à la refouler et sans avoir besoin pour y faire face de déprécier la vie mais en accordant au contraire la plus haute valeur à ce qui périt. Sachant que le néant est notre étoffe même et que l’on vit pour rien, il nous faut vivre comme le héros qui, devant le défi de la mort, refuse – pour rien – de se laisser abattre. Si cette attitude est aussi une lutte, ce n’est pas pour s’arracher au temps. Son combat a un autre objet. Prenant le parti du temps, elle ne vise pas à l’affronter en face-à-face mais à l’organiser activement pour ne pas le subir passivement. À l’employer en lui donnant un sens par l’art, l’amour, la connaissance ou la moralité ; en le soumettant à une idée ou à un idéal comme celui de la beauté, de la liberté ou de la justice ; bref à vivre notre temps de vie non pas en le laissant passer ou en l’occupant à des activités futiles, comme jouer aux cartes ou fumer tranquillement, mais en l’employant aussi intensément que possible. Une telle attitude conduit à se tourner vers une autre sagesse que celle léguée par la religion et la métaphysique. Une sagesse tragique qui, loin de chercher un remède à l’angoisse, loin aussi de nourrir une hostilité à l’égard du devenir et de rabaisser tout ce qui est passager, porte au plus haut degré ce qui fait la valeur de la vie et invite à trouver la grande passion qui donne la force de vivre dans le temps et d’affronter un destin écrasant.
Marc Chagall, Le temps n’a point de rives, 1930-1939,
huile sur toile, 100 x 81,3 cm, collection Ida Chagall, Paris.

Vivre en homme

Si le temps se rappelle constamment à nous par la mort et l’anéantissement, la destruction n’est pourtant qu’un premier aspect de sa nature car c’est également sous l’horizon du temps que s’accomplissent les processus de création et d’évolution. Le temps porte ainsi en lui une contradiction. Il anime deux processus inverses qui font être et cesser d’être. Privilégier l’un de ces processus pour définir la nature du temps serait ignorer sa complexité et ne pas voir que le temps présente une double nature, caractérisée à la fois par la destruction et la création. Si l’on ne doit donc pas s’en tenir à la destruction pour penser l’essence du temps, il n’en reste pas moins que c’est aussi l’effet qu’il produit. Or, quelle attitude devons-nous adopter face à cette puissance défaisante du temps ? Rendre les armes et se laisser abattre ? Ce serait faire preuve de lâcheté et se condamner à la mélancolie. Se rebeller et résister ? Ce serait manquer de lucidité en oubliant que le temps se rit des efforts qu’on peut déployer pour le dominer car il sait qu’à la fin c’est lui qui aura le dernier mot. Que sont en effet les durées individuelles ou celles des sociétés humaines relativement aux durées cosmiques ? La raison nous le dit : qu’un instant dont il ne restera bientôt plus rien dans la durée infinie du temps. Puisqu’on ne doit donc pas se dissimuler qu’à la longue tout ce qui est finira par disparaître, il ne nous reste plus qu’à vivre en homme, c’est-à-dire à vivre sous l’horizon du néant et à assumer notre destin. Vivre ainsi, c’est vivre en vérité et dans la responsabilité, en faisant face non pas au temps, mais au néant, car ce n’est pas pour lutter contre le temps que l’on doit s’armer de courage, c’est pour affronter le destin inexorable qui pèse sur nous comme sur tout ce qui est. Mais que faire de notre temps de vie ? À quoi l’occuper pour bien l’employer ? Bien que nous ne soyons pas libres de remplir les heures comme il nous plaît parce qu’il y a des nécessités au-delà desquelles nous ne saurions nous projeter [37], nous pouvons tâcher d’user au mieux de notre puissance de liberté pour choisir une existence qui porte notre marque et ne pas laisser les circonstances décider de notre sort. Or, pour que la vie que nous menions réponde à une nécessité intérieure et ne se conforme pas seulement à une règle extérieure, il s’agit d’œuvrer passionnément, non pour survivre dans la mémoire collective, mais parce que cela donne la force de vivre dans le temps et permet de prendre en main son destin comme un destin personnel. La sagesse tragique invite à cette manière de vivre. Conscient d’être venu au monde pour y mourir mais néanmoins capable d’éviter le pessimisme qui conduit à la négation de la vie, le sage tragique est résolu à vivre le laps de temps dont il dispose en déployant le maximum d’énergie pour réaliser son destin propre, celui de son œuvre.
© 2021 L.LETENDRE
Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.

Notes

[1Colonie grecque établie en Ionie, une ancienne région située sur la côte ouest de la Turquie actuelle, Milet fut au début du VIe siècle avant notre ère l’une des cités les plus prospères de l’Asie Mineure et le berceau d’une école de pensée à la tête de laquelle se succédèrent en l’espace de cinquante ans les tout premiers savants de l’histoire : Thalès, Anaximandre et Anaximène.

[2Arkhê (ἀρχή) en grec ancien.

[3Apeiron (ἄπειρον) en grec ancien, que l’on traduit encore, mais moins exactement, par « l’infini ».

[4Une épigramme rapportée par Diogène Laërce conseille : « Ne prends pas trop vite par son bouton le livre d’Héraclite d’Éphèse ». Robert Grenaille, le traducteur de l’épigramme, insère cette note afférente au mot « bouton » : « Le bouton qui servait à fermer le manuscrit roulé » (nous soulignons). Voir Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, trad. R. Grenaille, t. 2, Livre IX, Paris, Flammarion, coll. « GF » (n° 77), 2014, p. 168 (note du traducteur, p. 292).

[5Selon Diogène Laërce (op. cit., Livre IX, p. 164-165), Héraclite déposa lui-même son livre dans l’Artémision d’Éphèse qui fut détruit en 356 av. J.-C. par l’incendiaire Erostrate et avec lui sans doute aussi l’original du livre d’Héraclite. Rappelons qu’élevé en l’honneur d’Artémis, la déesse de la chasse et de la nature, et reconnu comme étant la cinquième des sept merveilles du monde, l’Artémision était le temple le plus haut et le plus prestigieux de l’époque d’Héraclite.

[6Skoteinόs (σxοτειηός) en grec ancien.

[7Héraclite, Fragments, fr. 136 et 134, trad. M. Conche, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1991, resp. p. 467 et 459.

[8Ibid., fr. 130, p. 446.

[9Ce jeu était aussi appelé le pente grammai (πέντε γραμμαὶ), le jeu des « cinq lignes ». Sa description a été transcrite dans le dictionnaire de Julius Pollux. Voir, J. Pollux, Onomasticon, Livre IX, 97.

[10Commentateurs au nombre desquels figure Marcel Conche dont nous suivrons l’interprétation qu’il propose du fragment en question. Voir Héraclite, Fragments, fr. 130, op. cit., pp. 446-449.

[11Du grec ancien thermos (θερμός), « chaleur », et dunamis (δύναμις), « force » ou « puissance ».

[12Voir R.J. Clausius, « Sur diverses formes des équations fondamentales de la théorie mécanique de la chaleur », conférence prononcée devant la Société philosophique de Zurich le 24 avril 1865 et publiée dans les Poggendorfs Annalen (Juil. 1865, vol. CXXV, p. 390).

[13J. Monod, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Appendices, 4, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Point Essais », 2014, p. 242-243.

[14F. Hölderlin, Hypérion ou l’Ermite de Grèce, Volume second, Second livre, trad. P. Jaccottet, Paris, Gallimard, NRF, coll. « Poésie », 2019, p. 220.

[15Voir sur ce point la note 1 de l’extrait n° 2 de la Physique d’Aristote.

[16Aristote commet sans doute une erreur de dénomination en appelant Paron ce pythagoricien. Voir sur ce point la note 2 de l’extrait n° 2 de la Physique d’Aristote.

[17On la trouve notamment exprimée dans Les Euménides d’Eschyle : « Il n’est rien que le temps, en vieillissant, n’efface ». Voir Eschyle, Les Euménides, v. 286, Paris, Flammarion, coll. « GF » (n° 1473), 2011, p. 74 (trad. modifiée).

[18Selon l’expression de Paul Ricœur. Voir Temps et récit, t. 3, Le temps raconté, Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 1985, p. 349.

[19H. Bergson, Le possible et le réel, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2018, p. 1.

[20H. Bergson, L’évolution créatrice, chap. 1, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2013, p. 11.

[21Krónos (Κρόνος) en grec ancien.

[22Khrónos (Χρόνος), avec la consonne chi [Χ] aspirée, transcrite [kʰ] dans l’alphabet phonétique international.

[23Pensons au Chronos du sculpteur allemand Franz Ignaz Günther réalisé vers 1770, exposé au Musée national de Bavière à Munich et présenté en tête de cet article.

[24J. von Tepl, Le Laboureur de Bohème. Dialogue avec la mort, chap. 19, trad. F. Bayard, Paris, PUPS, coll. « Traditions et croyances », 2013, p. 39 (trad. modifiée). Précisons que dans cette œuvre majeure de la littérature de langue allemande rédigée au tout début du XVe siècle et dont la plus ancienne version imprimée fut éditée vers 1460, Johannes von Tepl met en scène un dialogue conçu selon le modèle traditionnel de la disputatio entre un veuf, éploré et révolté, et la mort qui vient de lui ravir son épouse et la mère de ses cinq enfants.

[25L’ Ecclésiaste est un auteur biblique qui se présente comme le fils de David, ancien roi d’Israël à Jérusalem.

[26L’expression « vanité des vanités » emploie une construction grammaticale qui exprime le superlatif en hébreu.

[27Traduit en français par « vanité », le mot hébreu Hebel désigne ce qui est insignifiant, dérisoire ou futile.

[28La Bible, Ancien Testament, L’ Ecclésiaste, trad. par nos soins, chap. 1, versets 2, 11 et 14.

[29Rappelons qu’entre 1819 et 1834, Søren Kierkegaard perdit ses trois sœurs aînées, deux de ses frères, puis sa mère, avant que son père ne meure à son tour en 1838.

[30Hédonisme : du grec ancien hēdonḗ (ἡδονή), « plaisir ».

[31Aristippe de Cyrène (425-355 av. J.-C.) est un philosophe grec contemporain de Socrate et fondateur en 399 av. J.-C. de l’école dite cyrénaïque dont l’orientation principale est l’hédonisme.

[32La formule latine complète est carpe diem, quam minimum credula postero, « Cueille le jour, sans te fier le moins du monde au lendemain ». Voir Horace, Odes, Livre I, 11, v. 8, in Horace, Odes et épodes, trad. F. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France, Série latine Guillaume Budé », 2003, p. 18.

[33Pierre de Ronsard, Le Second Livre des Sonnets pour Hélène, Sonnet LXIII (éd. de 1584), in Ronsard, Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » (n° 45), 1993, p. 401.

[34D. Diderot, Le neveu de Rameau, Paris, Gallimard, coll. « Folio » (n° 761), 1982, p. 65.

[35S. Kierkegaard, Trois discours sur des circonstances supposées, « Sur une tombe », in Œuvres complètes de Søren Kierkegaard, t. 8, trad. P.-H. Tisseau et E.-M. Jacquet-Tisseau, Paris, Éditions de l’Orante, 1979, p. 83.

[36Idem.

[37Comme celle de dormir, de manger ou de travailler.