70e anniversaire de la libération de Domfront
De la détresse à l’allégresse

ll y a 70 ans, les GI’s de l’armée américaine libéraient Domfront qui paya par ses victimes et ses ruines une part importante du sacrifice imposé à la Normandie pour bousculer une longue occupation de quatre ans. Pour commémorer cet anniversaire, l’étude qui suit se propose d’exposer les événements qui frappèrent en plein cœur la cité médiévale. La première partie retrace l’histoire de la libération de la ville et dresse une liste complète des victimes civiles, tandis que la seconde partie analyse les bombardements des mois de mai et juin 1944. S’appuyant sur les témoignages de ceux qui vécurent ces événements et présentant des photographies pour la plupart inédites, de même que des documents d’archives militaires américains dont certains, récemment déclassifiés, permettent d’apporter un éclairage nouveau sur ces terribles journées, cette étude entreprend ainsi de réexaminer un des grands pans de l’histoire de Domfront afin d’en affiner la compréhension et d’en préserver le souvenir.

- Première partie -

Une inoubliable page d’histoire

Mai et juin 1944

Le temps de la désolation
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’un point de vue militaire, l’utilisation des bombardiers pour détruire le réseau ferroviaire français et les voies de communication a été déterminante car elle empêcha ou retarda l’acheminement sur le champ de bataille de Normandie d’unités de renfort allemandes. Sans elle, le débarquement et la bataille de Normandie auraient probablement été beaucoup plus coûteux et plus longs, et les forces allemandes auraient pu circuler plus librement et arriver sur le théâtre d’opérations en bien meilleur état. Pour les stratèges alliés, la cité médiévale de Domfront ne pouvait pas échapper à ce pilonnage des bombardiers. Carrefour important pour le mouvement des troupes ennemies et de son matériel, la ville se situe au croisement de deux axes majeurs de circulation : un axe nord/sud, Caen-Laval (RD 962, anciennement N 807), et l’autre est/ouest, Paris-Bretagne via Alençon (RD 976, anciennement N 162). La ligne ferroviaire de la ville, aujourd’hui abandonnée, desservait quant à elle les villes d’Alençon, de Caen, de Laval et d’Angers. Pour la bonne marche des opérations, il était donc impératif de détruire ce centre ferroviaire et ce nœud routier.

C’est ainsi qu’à partir du 28 mai 1944 et tout au long du mois de juin, les chasseurs-bombardiers Republic P-47 Thunderbolt, les bombardiers légers Douglas A-20 Havoc et les bombardiers moyens Martin B-26 Marauder appartenant à la 9th Air Force américaine commandée par le Lieutenant General Lewis Hyde Brereton furent lancés sur Domfront, pulvérisant la gare et le quartier l’avoisinant tout comme celui du centre-ville, semant la mort et la désolation parmi la population civile. 37 hommes, femmes et enfants furent tués, dont 27 lors du seul bombardement du mercredi 14 juin 1944, le plus meurtrier d’entre tous. Il y eut ainsi beaucoup de peine et de souffrance, mais, si déplorables que soient ces pertes en vies humaines, ce fut malheureusement le prix à payer pour la liberté, et les habitants, qui pourtant vécurent des situations souvent dramatiques, furent reconnaissants aux Alliés.

Jeudi 15 juin 1944, 18h20, bombardement à 2500 pieds de la gare de Domfront par des Douglas A-20G Havoc américains du 671st Bombardment Squadron, appartenant au 416th Bombardment Group du 97th Combat Bombardment Wing (dépendant du IX Bomber Command de la 9th Air Force). L’avion de droite, baptisé « Uncle Bob » (numéro de série 43-9951, code de fuselage 5C-P), est celui du Second Lieutenant James R. Miller (pilote), du Sergeant Robert G. Schrom (mitrailleur arrière) et du Sergeant Julius Galender (mitrailleur de tourelle). (Coll. U.S. NARA).
Vue aérienne de Domfront réalisée en août 1944 par les Américains laissant apparaître les multiples cratères causés par les bombes larguées par l’aviation alliée. (Coll. IGN).
Les photographies inédites suivantes, prises par des habitants de Domfront au mois de juin 1944 alors que les ruines de la cité n’ont pas encore été déblayées, nous rappellent l’inoubliable tragédie que fut cet été-là, le plus long qu’ait connu la Normandie.
Photographie prise à proximité du Pont de Godras (en direction du Grand Carrefour) des décombres d’une habitation qui s’est effondrée dans la rue des Barbacanes. Au milieu des poutres de charpente, un panneau indicateur a été installé signalant une zone dangereuse. (Coll. L. Letendre).
Situées au-dessus de la rue des Barbacanes, l’une des deux tours de Godras fut durement touchée. La photographie est prise depuis le Pont de Godras sur le tablier duquel sont fixés un poteau électrique en béton et un poteau téléphonique en bois dont le repérage s’avère indispensable pour interpréter deux clichés (exceptionnels, mais de mauvaise qualité) qui furent réalisés au même endroit le 15 juin 1944 et que nous présenterons dans la seconde partie de cette étude. (Coll. L. Letendre).
La rue du Chêne-Vert où Fernande Grare (26 ans), ses trois filles (Nicole, Danielle et Monique, âgées respectivement de 1, 3 et 7 ans) ainsi que son père Fernand Pontoire (49 ans), domiciliés à Paris et réfugiés à Domfront, furent tués lors du bombardement survenu à 20 heures le 14 juin 1944. (Coll. L. Letendre).
Monceaux de gravats et de ferrailles tordues rue des Fossés-Plisson. Écrasés sous les décombres de leur maison lors des bombardements, certains corps de victimes civiles ne furent jamais retrouvés. (Coll. L. Letendre).
Une maison ouverte comme un coffret à bijoux dans le centre-ville de Domfront. (Coll. L. Letendre).
Réalisées juste après la libération de la ville par les militaires américains, les vues aériennes ci-dessous témoignent également de la violence et de l’ampleur des destructions occasionnées par les bombardements de l’aviation alliée.
Prise le 17 août 1944 par les Américains, cette photographie aérienne montre l’importance des destructions infligées à la ville lors du bombardement du mercredi 14 juin 1944. Frappé de plein fouet, le cœur de la cité est dévasté. Au centre du cliché, nous pouvons apercevoir les engins du Génie américain à l’œuvre pour déblayer, au niveau du Pont de Godras, la rue des Barbacanes, tandis qu’une pelleteuse Osgood se trouve au milieu du Grand Carrefour. (Coll. U.S. NARA).
Vue aérienne prise le 17 août 1944 par les Américains montrant, à droite, le Collège de Domfront (renommé Lycée Auguste-Chevalier en 1959) qui reçut l’ordre le 27 mars 1944 d’évacuer ses locaux avant le samedi 1er avril pour pouvoir y loger des soldats en cas de besoin, et, en face, le Champ de Foire aménagé en parc à fourrage par l’occupant qui y fit construire des hangars pour mettre à l’abri la paille et le foin qu’il réquisitionnait continuellement dans les communes voisines. On peut également voir, rue de Godras, un camion américain GMC, tandis qu’à gauche du cliché, on aperçoit, circulant rue du Maréchal-Joffre, une ambulance Dodge et deux jeeps Willys, deux autres véhicules (difficilement identifiables) étant stationnés sur l’un des trottoirs de la rue du Maréchal-Foch. (Coll. U.S. NARA).
En hommage aux 37 victimes civiles de ces raids aériens, nous publions ici une liste mémoriale complète précisant leur identité ainsi que la date et, dans la mesure du possible, le lieu et les circonstances de leur mort. Nous ne les oublierons jamais.
Monument érigé au cimetière de La-Croix-des-Landes en hommage aux victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront. Inaugurée le 23 octobre 1949, cette œuvre du sculpteur fertois Marcel Pierre a su symboliser la dure épreuve traversée. (Photo L. Letendre).
Pendant trois nuits, chaque mois, la Lune disparaît, comme morte. Puis elle reparaît et grandit en éclats. En nous inclinant devant ce monument du souvenir, nous perpétuons dans l’immensité ténébreuse du temps la mémoire de ceux qui payèrent de leur vie la délivrance de notre patrie. (Photo L. Letendre).
Les noms des victimes civiles gravés dans le granit du monument érigé en leur mémoire (face nord). (Photo L. Letendre).
Les noms des victimes civiles gravés dans le granit du monument érigé en leur mémoire (face sud). (Photo L. Letendre).
Liste des 37 victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront (page 1). (Doc. L. Letendre).
Liste des 37 victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront (page 2). (Doc. L. Letendre).
Liste des 37 victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront (page 3). (Doc. L. Letendre).
Le premier monument érigé au cimetière de La-Croix-des-Landes en hommage aux victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront. (Coll. E. Guérin).
Août 1944

Le triomphe de la liberté
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e 11 août 1944, la contre-offensive allemande lancée le 7 août depuis Mortain en direction d’Avranches pour couper la Third Army du Lieutenant General George S. Patton de ses arrières – « l’opération Lüttisch » – fut abandonnée et la 7. Armee du SS-Oberstgruppenführer und Generaloberst der Waffen-SS Paul Hausser commença à se replier en direction de l’est dans la nuit. Le 12 août au matin, Alençon fut libérée par la 2ème Division Blindée française du Général Philippe Leclerc de Hauteclocque. Le même jour, dans la soirée, les unités américaines suivantes reçurent l’ordre de s’emparer de Domfront le lendemain : les véhicules blindés de reconnaissance du 82nd Armored Reconnaissance Battalion (appartenant à la 2nd Armored Division « Hell on Wheels ») ; ceux du 125th Cavalry Reconnaissance Squadron (Mechanized) (relevant momentanément de la 30th Infantry Division « Old Hickory ») ; les chars M4 Sherman de la D Company du 67th Armored Regiment (2nd Arm. Div.) ; l’infanterie d’assaut de la E Company du 41st Armored Infantry Regiment (2nd Arm. Div.) ; les obusiers automoteurs de 105mm des HMC M7 du 65th Armored Field Artillery Battalion (rattaché temporairement à la 2nd Arm. Div.). Lancée à 16 heures le 13 août du village de Rouellé en direction de celui du Pont-d’Égrenne (respectivement à 5 km à l’ouest de Domfront et à 4 km au sud) de manière à se rabattre ensuite sur la ville en faisant face aux hauteurs sur lesquelles elle fut bâtie, mais ralentie par les champs de mines et les lance-roquettes ennemis, l’offensive fut suspendue le soir venu et ne reprit qu’aux premières lueurs du jour le 14 août.

Sur les deux cartes américaines au 1/500.000e ci-dessous établies par l’« Engineer Section » de l’état-major du 12th Army Group – le service chargé d’élaborer chaque jour à midi les cartes faisant état de la situation militaire pour le compte du groupe d’armée du Lieutenant General Omar N. Bradley – et couvrant la période des 13 et 14 août 1944, on constate le retrait du secteur de Domfront des 17. SS-Panzer-Division « Götz von Berlichingen », 10. SS-Panzer-Division « Frundsberg », 1. SS-Panzer-Division « Leibstandarte Adolf Hitler » et 2. Panzer-Division, sous la pression conjuguée de la Hell on Wheels (« L’enfer sur roues », en fr.) du Major General Edward H. Brooks et de la Old Hickory (« Vieux noyer ») du Major General Leland S. Hobbs.

Mention apposée par l’« Engineer Section » du 12th Army Group sur la carte du 13 août 1944. (Coll. Library of Congress).
Carte au 1/500.000e du 12th Army Group faisant état de la situation le 13 août 1944 à 12 heures (détail). (Coll. Library of Congress).
Mention apposée par l’« Engineer Section » du 12th Army Group sur la carte du 14 août 1944. (Coll. Library of Congress).
Carte au 1/500.000e du 12th Army Group faisant état de la situation le 14 août 1944 à 12 heures (détail). (Coll. Library of Congress).
Manifestement toutefois, lorsqu’elle établit à midi la carte faisant état de la situation du front le 14 août, l’« Engineer Section » de l’état-major du 12th Army Group évalua mal la situation : a) en localisant la 10. SS-Panzer-Division « Frundsberg » à Domfront, alors qu’elle se situait en réalité au nord-ouest de Saint-Bômer-les-Forges ; b) en ignorant la présence à Domfront et dans la forêt d’Andaine d’éléments de la 708. Infanterie-Division allemande (placée de manière inexacte dans le secteur de Rânes). C’est ce qu’atteste la carte d’état-major établie le 14 août par la « Section Opérations » de l’Armée de terre allemande que nous publions en complément. Si cette dernière indique bien la présence au nord de Domfront de la 10. SS-Pz-Div. « Frundsberg », accompagnée par une « Kampfgruppe » de la 275. I.D., et la présence de la 708. I.D. dans la forêt d’Andaine, elle ne détaille cependant pas encore suffisamment la situation en indiquant que les deux bataillons présents dans Domfront – matérialisés par deux flèches rétrocédant à partir du 13 août au soir devant la poussée américaine – correspondaient à un bataillon du Grenadier-Regiment 728, qui s’établit dans les bois du Tertre Saint-Anne (situé au nord-ouest de la ville, sur un éperon rocheux faisant face au vieux château et dominant du haut de ses 50 mètres la voie de chemin de fer et la rivière de la Varenne), et au Pionier-Bataillon 708, qui s’installa dans Saint-Front (situé au sud-est de la ville et dont la paroisse fut réunie à celle de Domfront en 1863 pour ne plus former qu’une seule et unique commune). Ces deux éléments de la 708. I.D. se trouvaient ainsi séparés du gros de la division, positionné dans la forêt d’Andaine (au sud-est de Champsecret) avec les restes de la 5. Fallschirmjäger-Division et la Panzeraufklärungs-Abteilung 9 de la 9. Panzer-Division.
Mention apposée par la « Section Opérations » (« Operations Abteilung », abrégé « Op ») de l’État-major Opérations des Forces armées (« Wehrmacht-führungsstab », abrégé « WF St ») de l’Armée de terre (« Heer », abrégé « H ») allemande sur la carte faisant état de la situation (« Lage ») sur le front Ouest (« West ») le 14 août 1944. (Coll. U.S. NARA).
Carte au 1/80.000e du WFSt Op (H) West faisant état de la situation le 14 août 1944 (détail). (Coll. U.S. NARA).
Grâce à l’initiative courageuse de quelques Domfrontais qui parvinrent au péril de leur vie à rejoindre les lignes alliées le 14 août vers 14 heures et à fournir des renseignements au commandement américain sur la localisation précise des états-majors des deux bataillons allemands, ces derniers furent encerclés vers 15 heures et faits prisonniers sans difficulté. Quelques instants plus tard, au terme d’un bref engagement dans le Tertre Saint-Anne, une compagnie entière de soldats du Grenadier-Regiment 728 se rendit également (les autres parvenant à s’enfuir), tandis que ceux du Pionier-Bataillon 708 le firent sur ordre de leur commandant après avoir opposé une légère résistance. Vers 16 heures, Domfront fut ainsi définitivement libéré du joug qui avait si lourdement pesé sur ses habitants. Le soir même, le 120th Infantry Regiment (appartenant à la 30th Inf. Div.) releva les unités de la 2nd Arm. Div. et établit son quartier général dans la ville (jusqu’au 19 août), suivi le lendemain par l’état-major du 117th Inf. Rgt. (dépendant également de la 30th Inf. Div.) et par celui de la Old Hickory elle-même (le premier ne s’y installant que la journée du 15 août, tandis que le second y demeura du 15 au 19).
Photographie prise le 15 août 1944 d’un trou béant sur la voûte du Pont de Godras causé par l’une des bombes larguées lors du bombardement du 14 juin. Le photographe opère rue des Barbacanes tandis que le Private G.D. Wood se trouve rue de Godras. (Coll. U.S. NARA).
Sur cette photographie prise le 15 août 1944 rue de Godras, depuis le pont, nous voyons des soldats du 2nd Battalion du 120th Infantry Regiment de la 30th Inf. Div. « Old Hickory » – chargés d’occuper Domfront – progresser vers le Grand Carrefour au milieu des ruines de la rue des Barbacanes (celui au premier plan transportant deux pelles). Les 1st et 3rd Battalions du régiment sont alors engagés dans des combats au nord de la ville, à Saint-Bômer-les-Forges. Au dos du cliché figure la légende : « American infantrymen pick their way through the debris and rubble as they advance through the french town of Domfront in pursuit of the fleeing german forces. France. 15/8/44 ». (Coll. U.S. NARA).
La légende de cette photographie réalisée le 15 août 1944 signale que des officiers américains, gênés par l’ampleur des destructions, cherchent quelles routes dégager en priorité pour permettre le passage de la circulation. Ces officiers se trouvent au Grand Carrefour, le cliché ayant été pris à quelques mètres du précédent, depuis les jardins qui dominent la rue des Barbacanes, côté est. (Coll. U.S. NARA).
Agrandissement de la photographie précédente et dos du cliché dont la légende nous apprend que l’ampleur des destructions causées non par l’artillerie, comme indiqué par erreur, mais par l’aviation, pose un problème aux officiers américains s’entretenant au Grand Carrefour et qu’ils cherchent quelles routes déblayer pour permettre au trafic routier de s’écouler plus facilement. Ce dos du cliché nous apprend également que ce dernier a été réalisé par un correspondant-photographe de guerre du Signal Corps dénommé Norbie. On peut légitimement penser que tout ou partie des prises de vue effectuées dans Domfront immédiatement après la libération (avec le code d’identification du Signal Corps inscrit en bas à droite de la photographie) l’a été par ses soins. (Montage L. Letendre).
Photographie prise en juin 1944 depuis le Grand Carrefour, en regardant vers l’est, dans l’axe de la rue du Maréchal-Foch, alors que Domfront était encore sous occupation allemande. Au centre du cliché, notons la présence d’un camion allemand, impossible à identifier avec certitude, camouflé sous des branchages pour tenter d’échapper à la vigilance des aviateurs alliés. (Coll. L. Letendre).
Les mêmes lieux exactement que ceux du cliché précédent mais photographiés le 17 août 1944, après la libération de Domfront, tandis que des soldats allemands sont emmenés à l’arrière vers des camps de prisonniers. Le travail de la censure américaine interdit toute identification précise de l’unité à laquelle appartiennent ces camions. Notons qu’il s’agit de GMC CCKW-353 Cargo (2,5 t., 6x6) avec cabine bâchée et sans treuil, et que la voie de circulation a désormais été dégagée par le Génie américain. (Coll. U.S. NARA).
Photographie prise le 14 août 1944 rue des Fossés-Plisson de soldats de la 2nd Arm. Div. surveillant des prisonniers allemands appartenant au Gren. Regt. 728 de la 708. I.D. avant leur départ vers un camp de prisonniers. Le GI’s au premier plan (du 82nd Arm. Rec. Bn.) porte l’insigne de la « Hell on Wheels » sur l’épaule gauche. Celui au second plan est équipé d’un fusil Springfield M 1903 et porte, comme les autres GI’s du 41st Arm. Inf. Rgt., la tenue de camouflage appelée « two-piece herringbone twill camouflage jungle suit », très peu portée en Normandie pour éviter des méprises avec les Waffen-SS. (Coll. U.S. NARA).
Les mêmes prisonniers allemands marchant dans Domfront. Notons qu’on distingue le foulard blanc autour du cou de l’un d’entre eux, visible sur la prise de vue précédente, et que seule l’ombre du neuvième soldat apparaît à droite. Croisant une jeep, ils sont escortés par un GI’s se tenant à l’arrière-plan. Au premier plan, nous remarquons au sol les traces de chenilles déjà visibles sur le cliché précédent. Cette photographie est prise à quelques mètres, au carrefour situé entre la rue Montgomery (qu’empruntent les prisonniers) et celle des Fossés-Plisson. (Coll. U.S. NARA).
Bien que l’Organisation Todt – le groupe de génie civil et militaire de l’Allemagne nazie employant essentiellement des ouvriers étrangers et notamment ceux, français, soumis au travail forcé dans le cadre du S.T.O. – ait rapidement entrepris un dégagement sommaire des principaux axes routiers de la cité médiévale, permettant ainsi de rétablir un trafic normal vers le 20 juillet 1944, les officiers du Génie américain commencèrent dès le 15 août à organiser un déblaiement plus complet afin de faciliter la circulation de la 2nd Arm. Div. qui s’achemina vers Sées le 18 août, après avoir été mise au repos dans le secteur de Barenton les 16 et 17 août, et celle de la 30th Inf. Div. qui rejoignit Brezolles (au sud-est de Verneuil-sur-Avre) le 19 août, après s’être confrontée dès le milieu de l’après-midi du 14 sur les collines aux abords nord de Domfront (dans le secteur des fermes de la Bouhardière et de la Bigotière) à un groupe de combat allemand constitué autour des huit blindés encore opérationnels du SS-Panzer-Regiment 10 « Langemark », des obusiers du II./SS-Panzer-Artillerie-Regiment 10 (deux unités appartenant à la 10. SS-Panzer-Division « Frundsberg ») et de soldats de la 17. SS-Panzer-Grenadier-Division « Götz von Berlichingen », puis s’être emparée de Saint-Bômer-les-Forges le lendemain (la B Company du 1st Battalion du 120th Inf. Rgt. libérant le village le 15 août à 8 heures).
Photographie prise le 14 août 1944 au Grand Carrefour, en face de la tour de la Porte d’Alençon et de la Grande Rue, cette dernière étant totalement obstruée par des gravats, tout comme la rue des Barbacanes débouchant à droite du cliché (à l’angle de la façade encore debout) et menant vers la route de Flers. À l’arrière-plan, on aperçoit l’église Saint-Julien et son clocher en béton qui domine la ville, œuvre de l’architecte Albert Guilbert. (Coll. U.S. NARA).
Le 15 août 1944, deux GI’s de la HQ Company du 2nd Battalion du 120th Inf. Rgt. établissent une ligne téléphonique au pied de la tour de la Porte d’Alençon. Au dos du cliché figure la légende : « Communications men repair lines in Domfront, France. The lines were laid before the Germans were completely cleared out, and were cut by them when they left. 15/8/44 ». (Coll. U.S. NARA).
Le 17 août 1944, une pelleteuse Osgood du Génie américain charge des gravats dans un camion GMC CCKW 353 Cargo, déblayant ainsi le Grand Carrefour sévèrement frappé par le bombardement du 14 juin 1944. Remarquons la marque de la pelleteuse visible sur la flèche de l’engin. (Coll. U.S. NARA).
Un groupe de soldats du 2nd Battalion du 120th Inf. Rgt. discute à l’intersection des rues de la Poterne, des Barbacanes, du Champ de Foire et de Flers. Pris le 15 août depuis le Pont de Godras (en direction de la route de Flers), ce cliché montre de nouveau la maison effondrée rue des Barbacanes dont les décombres gênent la progression des unités motorisées de la « Old Hickory » vers le secteur nord de Domfront, les obligeant à faire un détour. (Coll. U.S. NARA).
Présentant des risques pour la circulation des camions, les Américains préférèrent démolir le Pont de Godras à l’aide d’explosifs lorsqu’ils déblayèrent la rue des Barbacanes. On voit ici les hommes du Génie équipés de barres à mine déchausser les derniers blocs de pierres menaçant de chuter sur la route. (Coll. U.S. NARA).
Fermeture de la poche d’Argentan-Falaise : 17-19 août 1944. (Carte M. Blumenson).
14 août 1944 - 14 août 2014

La mémoire vive
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e nombreuses commémorations, publications et émissions de radio ou de télévision viennent de célébrer avec éclat le Débarquement de 1944. Ces célébrations sont indispensables pour éviter l’effacement de la mémoire. Mais s’il nous faut maintenir vivant le souvenir, nous devons veiller à ce que rien ne nous détourne du présent et de l’avenir. À quoi bon la répétition du « il ne faut pas oublier » si celle-ci n’a aucune incidence sur les barbaries qui se produisent aujourd’hui ? Si le passé doit être présent dans la mémoire, c’est pour en tirer des leçons et agir sur le présent. Ceux qui connaissent l’horreur du passé ont le devoir d’élever leur voix contre les horreurs qui se déroulent dans le monde actuellement. Si cette étude commémorant le 70e anniversaire de la libération de Domfront peut contribuer à la lutte contre les idéologies totalitaires, elle aura alors atteint son but : mettre le passé au service du présent pour combattre les barbaries d’aujourd’hui.

L’Hôtel de Ville de Domfront où les troupes américaines installèrent le 15 août 1944 le bureau des « Civils Affairs ». Notons la présence devant l’édifice public d’un véhicule blindé de reconnaissance M8 Light Armored Car. (Photomontage J. H. Teeuwisse, M. Le Querrec et C. Demeester).
Le 16 août 1944, de petits groupes de Domfrontais se sont formés sur la Place de la Roirie, devant l’Hôtel de ville. Sous le porche de la mairie se trouve un pompier casqué, tandis qu’un second est assis à l’avant-droite du Dodge WC-51. (Coll. L. Tarot).
Le 14 août 1944, un M4 Sherman de la D Company du 67th Arm. Rgt. de la 2nd Arm. Div. « Hell on Wheels » patrouille dans la haute ville de Domfront. Il évolue dans l’étroite rue Saint-Julien, passant devant l’église éponyme, accompagné par des soldats de la E Company du 41st Arm. Inf. Rgt. (dépendant de la même division) qui inspectent les maisons. (Photomontage J. H. Teeuwisse, M. Le Querrec et C. Demeester).
Devant les locaux de la Défense passive, deux GI’s de la E Company du 41st Arm. Inf. Rgt. s’entretiennent avec M. Pelotin, gardien-chef de la prison de Domfront. Tout à leur bonheur d’être enfin affranchis du joug nazi, la joie se lit sur les visages de ceux qui écoutent la conversation, Alfred Riverain, Robert et Édouard Sonnet notamment (qui se tiennent à gauche, derrière le GI’s). (Coll. L. Tarot).
Photographie prise le 14 août 1944 par Jeanne Dupont (1912-2002), enseignante de musique, de chant, de dessin et de latin au pensionnat de jeunes filles de l’Ange Gardien de Domfront. Équipés d’une mitrailleuse Browning 1919 A4 calibre 30, de leur fusil Springfield M 1903 et de leur « two-piece herringbone twill camouflage jungle suit », les soldats de la E Company du 41st Arm. Inf. Rgt. prennent manifestement la pose face au Palais de Justice, Place... de la Liberté. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).

- Seconde partie -

Les bombardements

de mai et juin 1944

Analyse et témoignages

Avant-propos
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ur les opérations alliées qui se déroulèrent durant les mois de mai et juin 1944 dans le ciel de Domfront, le Journal inédit de Sœur Jeanne [1], le récit de Gabriel Hubert, André Paillette et André Thimothée [2], ainsi que les mémoires de Germaine Renard [3] et d’André Rougeyron [4] nous offrent de précieuses informations. Mais ces monographies locales ne proposent qu’un aperçu des questions militaires et sont imprécises ou tout simplement inexactes lorsqu’il s’agit de l’identification des unités mobilisées et des moyens matériels engagés par les Alliés. Ce sont ces lacunes que cette étude vise à combler en présentant une analyse de chacun des principaux bombardements dont Domfront fut la cible au cours des mois de mai et juin 1944, bombardements qui marquèrent à jamais l’histoire de la cité médiévale. Cette analyse fut lente et difficile et suppose de la part du lecteur de la patience et du temps, ce qui devient rare au sein d’un âge de hâte qui veut tout de suite en avoir fini avec tout. Si elle découragera tous les genres d’ « hommes pressés », gageons qu’elle saura susciter l’intérêt des vrais passionnés et qu’elle leur donnera autant de plaisir à la lire que nous en avons eu à l’écrire.


Dimanche 28 mai 1944

Le prélude au martyre
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’est le dimanche de Pentecôte 1944, dans le cadre du « Transportation Plan », le « plan des transports » mis au point par Solly Zuckerman, le conseiller scientifique de l’Air Marshal Sir Arthur Tedder (l’adjoint britannique de Dwight D. Eisenhower, commandant en chef des forces alliées lors de l’opération « Overlord »), visant à mettre à mal toute l’infrastructure de transports ferroviaires, routiers et aquatiques utilisée par les forces allemandes en Allemagne et dans tous les territoires occupés par elles, que Domfront devint pour la première fois la cible des avions américains de la 9th Air Force du Lieutenant General Lewis Hyde Brereton.

Accompagné du Colonel Edward Nolen Backus, Commanding Officer du 97th Combat Wing, le Lieutenant General Lewis Hyde Brereton (à gauche), commandant de la 9th Air Force, inspecte la base aérienne AAF-170 de Wethersfield en Angleterre le 24 avril 1944. Remarquons le bâton télescopique qu’il tient en main, bien utile pour désigner des cibles sur les grandes cartes d’état-major suspendues dans les locaux réservés aux officiers chargés du renseignement (« Intelligence office », en bon anglais !). (Coll. F.J. Cachat).
Organisation de la 9th Air Force le 9 juin 1944. (Coll. AFHRA).
Si les documents d’archives que nous avons consulté nous autorisent à affirmer que c’est bien la 9th Air Force qui attaqua les installations ferroviaires de la ville de Domfront le dimanche 28 mai 1944 entre 8 heures 30 et 9 heures, aucun en revanche ne nous permet d’établir avec certitude l’identité exacte de l’unité aérienne mobilisée ce jour-là. Les seules sources que nous pouvons actuellement utiliser pour comprendre la réalité de ce premier raid sont les récits qu’en firent ceux qui y assistèrent. Mais l’estimation du nombre d’avions diffère d’un témoignage à l’autre : Sœur Jeanne avance le chiffre d’une « dizaine » ; MM. Hubert, Paillette et Thimothée l’estiment à une « trentaine », tandis qu’André Rougeyron l’évalue pour sa part à une « quarantaine ». Nous nous heurtons ici au problème que pose l’usage du témoignage en histoire. Contrairement au document officiel, reconnu vrai et offrant des données objectives, le témoignage est le reflet d’une mémoire brute qui, parce qu’il s’inscrit dans le vécu, peut s’avérer subjectif et partiel. Est-ce à dire qu’il faille l’écarter d’un revers de la main ? Lui refuser toute crédibilité ? Évidemment non, mais il faut faire un effort pour le contrôler et tâcher, à partir de lui, de reconstruire la réalité. À défaut de documents d’archives permettant par triangulation de recouper les informations (ce que nous serons amené à faire dans la suite de cette étude au sujet d’autres raids aériens), nous poserons donc deux hypothèses afin d’évaluer le nombre et le type d’appareils – type qui n’est pas non plus clairement défini dans les témoignages – mobilisés par la 9th Air Force ce dimanche 28 mai dans le ciel de Domfront.

Reprenons les récits des témoins pour établir la première hypothèse. « Sur nos têtes relate Sœur Jeanne dans son Journal, tout près, passent le souffle de plusieurs avions descendus en piqué, moteurs presque arrêtés, et le bruit repart, les appareils prennent de la hauteur et ils piquent à nouveau ». À la même heure, Gisèle Paillette, une jeune domfrontaise, observa la scène depuis sa fenêtre de la rue des Fossés-Plisson : « Les avions alliés piquent deux à deux sur la gare, lâchent leurs bombes, et remontent, faisant le tour du clocher (n.d.a. de l’église Saint-Julien) en crachant des rafales de mitrailleuses ». Ces deux témoignages nous permettent de déduire que ce ne sont pas les bombardiers légers ou moyens du type Douglas A-20 Havoc ou Martin B-26 Marauder en service au sein du IX Bomber Command qui opérèrent alors, mais des chasseurs-bombardiers attaquant en piqué. Et, comme Sœur Jeanne s’avère tout à fait capable d’identifier ce qu’elle appelle dans son Journal les « avions fourchus » – les fameux Lockheed P-38 Lightning, l’un des deux types de chasseur-bombardier alors en service au sein des groupes de chasse-bombardement du IX Tactical Air Command, facilement reconnaissables à leur deux moteurs et à leur double queue – mais n’en dit rien ce jour-là, le type d’avions mobilisés ne laisse place qu’à peu de doute : il s’agit très certainement de monomoteurs Republic P-47 Thunderbolt, le second type de chasseur-bombardier en service au sein du IX Tactical Air Command commandé par le Major General Otto Weyland et relevant de la 9th Air Force.

En outre, sachant qu’une escadrille (« squadron » en angl.) de chasseurs-bombardiers de la 9th Air Force comptait théoriquement 25 avions, l’estimation du nombre d’appareils mobilisés proposée par MM. Hubert, Paillette et Thimothée nous semble la plus proche de la réalité. Par comparaison, ce premier raid fut d’ailleurs beaucoup moins violent que le second (celui du 2 juin 1944) qui, lui, mobilisa un « Group » de deux « squadrons » de P-47 Thunderbolt (soit 50 avions), comme le rapporte le compte-rendu (que nous présenterons par la suite) de l’Air Chief Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory, le commandant en chef des forces aériennes anglaises et américaines dites « tactiques ». Aussi est-ce, selon toute vraisemblance, un « squadron » équipé de 25 Republic P-47 Thunderbolt de l’un des groupes de chasse-bombardement du IX Tactical Air Command qui prit pour cible la gare de Domfront ce 28 mai 1944.
La gare de Domfront photographiée en septembre 1943. (Coll. P. Gandon).
Au premier plan, le réservoir d’eau destiné à alimenter les locomotives (septembre 1943). (Coll. P. Gandon).
Le passage à niveau de la route de Mortain (septembre 1943). (Coll. P. Gandon).
Bâtiments annexes de la gare de Domfront. Le chef de gare et sa famille eurent la vie sauve lors de l’attaque du 28 mai 1944. Un miracle ! À l’arrière-plan, on distingue le passage à niveau de la route de Mortain, le donjon du château de la cité médiévale ainsi que les deux clochers des églises Notre-Dame-sur-l’Eau et Saint-Julien. (Coll. D. Yvetot).
Ce premier raid aérien ne provoqua ni morts ni blessés parmi la population civile. Seul un soldat allemand fut légèrement blessé. Il occasionna en revanche d’importants dégâts matériels. Présent ce matin-là aux côtés de sa mère à la messe dominicale animée à l’orgue par Sœur Jeanne, le jeune Jean-Pierre Lechevallier se rappelle la panique à laquelle céda l’assistance lorsqu’elle fut surprise au milieu de l’office par le vrombissement des moteurs d’avions. Trompant la vigilance de sa mère en quittant précipitamment l’église, Jean-Pierre, âgé de 17 ans à l’époque, gagna le château distant de quelques centaines de mètres et se souvient encore du spectacle terrifiant que lui inspira la vue qui s’offrit alors à lui depuis les remparts sur tout le Quartier Notre-Dame. Quand les avions s’éloignèrent, ce dernier était noyé dans une fumée épaisse alimentée par plusieurs foyers d’incendie. Une fumée noire venait d’un foyer à gauche, sans doute des réservoirs derrière la distillerie. Plus à droite, la gare elle-même disparaissait dans un formidable rideau de fumées jaunâtres, traversées d’éclairs de flamme. Plusieurs maisons aux alentours furent également sévèrement touchées, notamment près des voies de chemins de fer : détruits, précise Sœur Jeanne, « les petits bâtiments, les magasins de fourrage de la Maison Villette et l’un des réservoirs à essence. Détruites aussi la maison Lagarde et les écuries Coudray et Piquet. Très touchée encore, la maison du cantonnier Jardin, en arrière de la maison Villette [...] Quoique moins importants, d’autres dégâts chez Feyt ». Bien qu’une centaine de vitres ait volé en éclats et que la toiture de certains bâtiments fut pour une part endommagée, l’hôpital de Domfront demeura quant à lui pratiquement intact.
Après le bombardement, près du passage à niveau de la route de Mortain et de la maison du garde-barrière, les voies ferrées sont coupées. À l’arrière-plan, on distingue la gare détruite et le réservoir d’eau pour locomotives qui fut criblé de balles de mitrailleuse. (Coll. D. Yvetot).
La gare de Domfront ravagée par le bombardement du 28 mai 1944. De piètre qualité, cette photographie a été prise du côté de la façade principale de l’édifice. (Coll. D. Yvetot).
La façade principale de la gare au tout début du XXe siècle. (G. Hubert, Éditeur).
« On ne sait pas au juste combien de bombes il est tombé, reconnaît Sœur Jeanne, surtout des bombes explosives à ce qu’il semble, mais aussi des bombes incendiaires. Toutes d’ailleurs n’ont pas éclaté, ce qui fait que l’on a dû interdire l’accès à certains endroits ». Pour établir le nombre de bombes larguées lors de ce premier raid du 28 mai 1944, nous pouvons également utiliser le compte-rendu du raid aérien du 2 juin 1944 rédigé par Sir Trafford Leigh-Mallory et formuler une dernière hypothèse. Le 2 juin en effet, et dans des conditions météorologiques similaires, ce sont exactement 56 bombes incendiaires de 250 kg et 63 bombes explosives de 500 kg que les 50 Thunderbolt lâchèrent sur le quartier de la gare. Un nombre de bombes qui serait deux fois supérieur à celui emporté lors du raid du 28 mai, si, comme nous le supposons, c’est bien une seule escadrille qui prit part à l’attaque ce jour-là. Une attaque qui se produisit sans qu’aucune alerte n’ait sonné. Sœur Jeanne n’oublie pas en effet de rappeler que « la sirène sonna l’alerte... après l’alerte ! ». C’est dire combien ce premier raid prit au dépourvu la population domfrontaise. Mais en effectuant un bombardement de précision d’un quartier de la ville encore assez peu fréquenté à cette heure matinale, les aviateurs alliés parvinrent à limiter à la zone cible les dégâts infligés par leur attaque soudaine.

« Après 17 heures, constate Sœur Jeanne, deux avions argentés se contentaient de virevolter à différentes hauteurs – assez longuement il est vrai – avant de s’en retourner comme ils étaient venus ». Il s’agit là selon toute probabilité de deux chasseurs North American P-51 Mustang (au fuselage métallique à base d’alliages d’aluminium) transformés en appareil de reconnaissance photographique. C’est cette version du P-51 (le P-51F-6-C, équipé de deux appareils photographiques K-24) qui était utilisée au sein de la 9th Air Force par le 10th Photographic Reconnaissance Group pour établir le compte-rendu des opérations, en photographiant avec la précision remarquable des Kodak (dont l’un était installé sous le fuselage des appareils et l’autre, dans le flanc gauche) les cibles détruites, endommagées ou laissées intactes et donc à revisiter.
Un bel exemple d’un chasseur North American P-51F-6-C Mustang équipé de K-24 photographié dans le nord de la France en décembre 1944. (Coll. U.S. NARA).
Or, au cours de l’examen de ces clichés, il n’a pas pu échapper au « Group S-2 » – les officiers d’état-major chargés du renseignement – ce que Germaine Renard avait elle-même relevé, à savoir que « les énormes réservoirs à essence, depuis longtemps camouflés par les Allemands, ont été visés, mais sans grand résultat ». D’autres attaques devaient donc être à craindre dans les jours à venir. Et de fait, tous les réservoirs d’essence n’ayant pas été détruits et d’autres objectifs à la fois ferroviaires et routiers restant encore à traiter à Domfront pour interdire ou ralentir l’accès des forces allemandes dans la zone sud du futur champ de bataille de Normandie, cette première attaque n’était qu’un commencement.
Vendredi 2 et samedi 3 juin 1944

Les premières victimes civiles
U

ne première attaque, à valeur égale, est toujours plus dramatique que les suivantes, la population ayant évacué les secteurs menacés ou appris à se ruer dans les abris. Or, dans le cas de Domfront, cela ne va pas se vérifier. Pourquoi ? Les Domfrontais étaient-ils inconscients de la menace des bombardements ? Certainement pas, mais ils firent preuve d’insouciance devant l’éventualité du danger aérien. Le dimanche 16 avril 1944, un avertissement fut radiodiffusé par le service français de la BBC, au nom du commandant suprême Dwight D. Eisenhower, prévenant les populations françaises et belges des attaques à venir contre le système ferroviaire : « Tous les points vitaux des chemins de fer en Belgique et en France vont être soumis à de lourdes attaques aériennes au cours des semaines qui suivront. Éloignez-vous du voisinage de ces objectifs ». Pendant les trois semaines qui suivirent, ce message sera transmis au moins quotidiennement et complété, entre autres, par des émissions de Schumann et par des causeries d’intervenants britanniques et français visant à expliquer plus longuement les raisons du « Transportation Plan ».

Certes, écouter clandestinement la BBC était strictement interdit et, depuis le 22 mars 1944, il fut ordonné par voie de presse à tous les habitants des départements du Calvados, de la Manche et de l’Orne de déposer leur poste de TSF dans les mairies avant le 31 mars. Mais comment comprendre que suite au bombardement du dimanche 28 mai se trouvaient à proximité immédiate de la gare des établissements hôteliers encore en activité ? Que des mesures d’évacuation ou de dispersion n’aient pas été prises par les autorités pour protéger la population ? Rappelons que ces mesures d’évacuation étaient essentiellement du ressort du préfet, tandis que les abris relevaient de la responsabilité des maires. Or, si par peur une majeure partie de la population fuit de sa propre initiative le Quartier Notre-Dame et que l’accès à certains lieux fut interdit du lundi au mercredi, le temps de répertorier et de neutraliser les projectiles n’ayant pas explosé, à partir du jeudi une certaine activité se remit peu à peu en place autour de la gare, dans le secteur des hôtels et des restaurants. Le 30 mai, les coupures faites à la ligne de Laval à Caen et de Domfront à Alençon ayant été réparées, les trains recommencèrent à circuler. Le 2 juin au matin, l’un d’eux entra en gare de Domfront au ralenti avec foule aux portières pour voir les effets du bombardement du dimanche précédent. Et en fin de journée, tandis que des enfants jouaient sur la place de la gare, les adultes vaquaient à leurs occupations, comme à l’ordinaire.

C’est à ce moment – à 18 heures 40 précisément – qu’un « Group » de deux escadrilles de Republic P-47 Thunderbolt surgit de nouveau au-dessus de la ville. Le travail d’interprétation des photographies de reconnaissance aérienne prises le 28 mai a dû révéler l’emplacement exact des réservoirs de carburant laissés intacts. Camouflés pour certains dans les jardins et les hangars des établissements du quartier des hôtels et des restaurants, ce secteur devait inévitablement devenir la cible de l’attaque de l’un des « squadrons », tandis que l’autre s’en prendrait une nouvelle fois aux installations ferroviaires, en visant non seulement les voies de chemins de fer, mais d’abord et avant tout le matériel roulant, les voies de garage, le triage, les bâtiments pouvant servir d’atelier de réparation, les systèmes d’aiguillage et les aiguilles elles-mêmes. Tout ce qui en fait demandait du temps pour être réparé et paralysait le trafic pour une plus longue durée.

Le rapport que nous citions précédemment, rédigé par Sir Trafford Leigh-Mallory et publié dans le Numéro 37838 du Supplement to The London Gazette of Tuesday, the 31st of December, 1946 sous le titre « Air operations by the allied expeditionary air force in N.W. Europe from November 15th, 1943 to September 30th, 1944 », fait état de cette mission du 2 juin 1944 à Domfront. Le maréchal de l’air précise page 23 : « On 2nd June, a force of 50 Thunderbolt of the United States Ninth Air Force attacked a fuel dump at Domfront. 54 x 500 lb incendiaries and 63 x 1000 lb. G.P. bombs were dropped and severe damage was caused to this dump ». Traduction : « Le 2 juin, une force de 50 Thunderbolt de la 9th Air Force attaqua un dépôt de carburant à Domfront. 54 bombes incendiaires de 250 kg (n.d.a. « 500 lb » en livre, l’unité de masse anglo-saxonne, abrégée « lb ») et 63 bombes explosives (« G [eneral] P [urpose] bombs » en angl.) de 500 kg (ou « 1000 lb ») furent larguées et de graves dégâts furent causés à ce dépôt ». Comme en témoignèrent MM. Hubert, Paillette et Thimothée dans leur récit consigné en janvier 1945 : « Ce bombardement, extrêmement violent, fait avec des projectiles incendiaires, dura environ 25 minutes. Les avions prenaient de la hauteur à tour de rôle en tournant au-dessus de la ville puis piquaient par groupes de quatre sur la gare en lâchant leurs bombes. Ils reprenaient ensuite de la hauteur en tirant des salves de mitrailleuses sur la ville ».

Le bilan de cette attaque fut tragique. Pour la première fois en effet, on dénombra des victimes parmi la population civile. Huit exactement. Parmi elles, Marguerite Angelot, parisienne séjournant dans l’un des hôtels de la gare ; Madeleine Bouvet et sa sœur Marthe Chevrier (née Bouvet), gérantes du Buffet de la Gare où elles furent tuées alors qu’elle revenaient chercher la caisse du restaurant qu’elles avaient oublié ; Robert Le Guennec, un cheminot habitant à Flers, tué sur la voie ferrée ; Lucien Poulain de Champsecret, alors garçon d’écurie, tué à l’Hôtel de France (les deux jambes arrachées, il décédera le 3 juin sur la route de l’hôpital de Flers) ; Jacques Renucci, un petit parisien âgé de 5 ans réfugié à Domfront, tué sur la place de la gare tandis qu’il jouait sous la surveillance de sa nourrice Mme Betton ; et Bernard Sigwald, agronome, tué dans le jardin du Sacré-Cœur où il était réfugié. Une huitième victime fut à déplorer ce même jour, dans un autre secteur de la ville de Domfront : Pierre Grare, 29 ans, parisien réfractaire au S.T.O., caché 3, rue du Chêne-Vert à Domfront avec sa femme, son beau-père et ses trois filles (qui ne survivront pas au raid aérien du 14 juin 1944), et qui fut déchiqueté par les éclats d’une bombe tombée juste devant l’entrée du cimetière de La Croix-des-Landes, à l’ouest de Domfront, à proximité immédiate d’un carrefour situé sur un axe important de circulation (RD 908). Mme Geneviève Clouard témoigne : « Dans la ville, c’est l’occupation allemande et dans le ciel les avions américains volent bas, tournent, assourdissants et menaçants. Mon père nous ordonne d’aller au plus vite, ma mère, ma sœur et moi, nous cacher dans le seul abri possible le plus proche : oui, c’est le caveau provisoire du cimetière, à 50 mètres peut-être. Pendant ce temps, mon père court à la recherche de ma petite sœur Elle joue, avec la voisine, de l’autre côté de la rue. À ce moment passe Monsieur Grare, réfractaire au S.T.O., réfugié dans notre ville avec sa famille. À peine la grille franchie par chacun des deux hommes mais en sens inverse, une bombe est larguée. Du caveau, nous la vîmes descendre, énorme, grise, écrasante, recouvrant nos cheveux de terre. Puis les avions s’éloignèrent. Ce fut le grand silence. Nous sortîmes de notre abri. Mon père arrivait, chacun se découvrant vivant, cependant mon père était livide, plus que bouleversé. Il nous explique : Monsieur Grare, à quelques pas de lui, avait été tué, déchiqueté par les éclats de la bombe  » [5]. À ces huit victimes civiles s’ajoutèrent de nombreux blessés, dont une jeune femme qui fut extraite des décombres grièvement atteinte.

Le lundi 5 juin 1944, au cimetière de La-Croix-des-Landes à Domfront, un dernier hommage fut rendu aux victimes des bombardements des 2 et 3 juin 1944 en présence de M. Leguay, Préfet de l’Orne, et du premier adjoint au Maire, M. Belin, visible de dos sur ce cliché où figurent sept cercueils adulte et un cercueil enfant, celui du petit Jacques Renucci, 5 ans. (Coll. J.L. Bernadeaux).
Sur le plan matériel, les dégâts occasionnés par le bombardement du 2 juin furent considérables. Les voies ferrées furent coupées entre la maison du garde-barrière de la route de Mortain et le dépôt de locomotives. Atteints par des bombes incendiaires, plusieurs wagons de marchandises brûlèrent comme des torches. De nombreuses bêtes furent tuées dans les champs situés près de la Varenne. La ferme de la Bretonnière et le manoir de la Raterie furent sévèrement touchés et le vieux manoir de Chaponnais, rasé, seul le pigeonnier demeurant debout. Tout le quartier compris entre la rue de la Gare et Pignon-Blanc fut incendié ou démoli : les hôtels-restaurants, la distillerie, un garage automobile, divers établissements de négociants ainsi que de très nombreuses maisons particulières y furent détruits ou très sérieusement endommagés. Confrontés à une douzaine de foyers d’incendie, les pompiers de Domfront et les hommes de la Défense passive furent totalement dépassés et en appelèrent à leurs collègues de Flers pour tâcher de les conjurer. De l’hôpital, encore une fois relativement épargné, les malades, les personnes âgées ainsi que les nourrissons de la maternité furent évacués à 22 heures et emmenés dans trois camions réquisitionnés vers des villages aux alentours (Perrou, La Chapelle-d’Andaine, Saint-Fraimbault et Lonlay-l’Abbaye).
Le vieux manoir de Chaponnais fut totalement rasé. (Tronchet, Éditeur).
Du vieux manoir de Chaponnais, seul le pigeonnier (visible à droite) resta debout. (Gaby, Éditeur).
Le manoir de La Raterie subit de nombreux dégâts. (Coll. D. Yvetot).
L’Hôtel de France avant-guerre, après ses travaux d’extension. (Coll. D. Yvetot).
La façade principale de l’Hôtel de France après les bombardements des 2 et 3 juin 1944. (Coll. C. Rottier).
La façade arrière de l’Hôtel de France. (Coll. C. Rottier).
Vue réalisée avant-guerre du secteur des hôtels et des restaurants dans le quartier de la gare. À droite du cliché, on reconnaît l’Hôtel de France (avant ses travaux d’extension), au centre, l’Hôtel de la Gare et, à sa droite, le Buffet de la Gare. (Coll. D. Yvetot).
Photographie prise dans les années 1920 des personnels et des clients de l’Hôtel de la Gare, tout à leur bonheur de partager un moment agréable dans un lieu convivial. (Éditeur inconnu).
Une famille domfrontaise posant devant les ruines de l’Hôtel de la Gare où Lucien Poulain fut grièvement blessé le 2 juin avant de succomber le 3, et celles du Buffet de la Gare dont les deux gérantes, les sœurs Madeleine et Marthe Chevrier (née Bouvet), furent tuées alors qu’elles revenaient chercher la caisse du restaurant qu’elles avaient oublié. Est-ce dans l’Hôtel de la Gare ou bien dans l’Hôtel de France que Marguerite Angelot trouva la mort – il nous est impossible de trancher dans l’état actuel de nos connaissances. (Coll. D. Yvetot).
Vue des hôtels et des restaurants prise depuis la rue de la Gare. La terrasse de l’Hôtel de France est visible à droite du cliché. Au centre, l’Hôtel de la Gare est entièrement détruit. À sa droite, le Buffet de la Gare est très sérieusement endommagé. (Coll. D. Yvetot).
Quartier saccagé, vies brisées, os broyés et chair meurtrie, Domfront et ses habitants n’étaient pas au bout de leur calvaire car, comme le remarque Sœur Jeanne, « les réservoirs d’essence ont perdu leur savant camouflage mais à l’exception d’un seul, paraissent absolument intacts ». Ce qui ne manqua pas d’échapper aux avions de reconnaissance photographique qui, une heure après le bombardement, survolèrent une nouvelle fois le secteur pour enregistrer le résultat de l’attaque.

Le lendemain matin, samedi 3 juin 1944, la population se mit à fuir en masse vers la campagne. « Domfront se vide, Domfront s’en va » écrit Germaine Renard. Et bien lui en prit car, un peu après 15 heures, une troisième attaque de P-47 Thunderbolt, moins violente que celle de la veille, visa de nouveau les voies de chemin de fer, aucune bombe n’étant lâchée sur le Quartier Notre-Dame. Appartenant au 368th Fighter Group du 71th Fighter Wing, ces P-47 étaient rattachés au IX Air Tactical Command de la 9th Air Force. L’un des aviateurs ayant participé à ce raid sur Domfront, le First Lieutenant Clarence E. Staton, pilote au sein du 395th Fighter Squadron (l’une des trois escadrilles de chasse composant le 368th FG, avec les 396th et 397th FS), raconte ainsi dans ses mémoires qu’il revint à sa base AAF-404 de Chibolton (située au nord de Southampton, en Angleterre) avec des pièces de fixation de rails logées dans le nez de son fuselage et dans son moteur ! Une sortie de piqué assurément trop juste...
Le 1st Lt. Clarence E. Staton posant en tenue de combat à côté de son Republic P-47 Thunderbolt baptisé « Stud » (n° de série 42-76169) appartenant au 395th Fighter Squadron du 368th Fighter Group. Le Thunderbolt était armé de huit mitrailleuses de 12,7 mm et possédait une capacité d’emport de 1135 kg de bombes. (Coll. 368th Fighter Group Association).
Mal légendé, ce cliché montre le P-47 « Stud » avec lequel le 1st Lt. Clarence E. Staton bombarda la gare de Domfront le 3 juin 1944 (et non le « 2-6-44 »). On constate que des pièces de fixation de rails, et non des fragments de bombes (« Bomb fragments »), se logèrent dans le nez de son fuselage et dans son moteur, comme en témoigne le pilote lui-même dans ses mémoires, et que l’une des pales de son hélice fut sérieusement endommagée. (Coll. E. N. Bassler).
En tenue d’aviateur, le 1st Lt. Clarence E. Staton du 395th Fighter Squadron. (Coll. 368th Fighter Group Association).
Cette nouvelle attaque fit une neuvième victime, le Domfrontais Victor Coupel, âgé de 64 ans, courtier en calva, mitraillé alors qu’il circulait bien imprudemment en camion-citerne sur la route de Mortain. Le soir, le Quartier Notre-Dame fut complètement évacué et seuls quelques veilleurs établirent leur poste dans la conciergerie de l’hôpital, lequel fut replié à 3 km sur la commune de La Haute-Chapelle, au vieux manoir de la Guyardière.
L’avant-cour du manoir de la Guyardière, introduite par deux tourelles circulaires construites au XVIe siècle délimitant une porte voûtée en plein cintre sur-baissé. (Gaby, Éditeur).
Composé d’un gros corps de logis rectangulaire cantonné à l’arrière par deux pavillons carrés, le bâtiment principal du manoir fut transformé en hôpital le 3 juin 1944. Pendant la période de l’occupation, les officiers affectés au commandement militaire du territoire de Domfront y installèrent une « Kommandantur ». (Gaby, Éditeur).
Sur cette photographie prise de la route de « La Petite Philippardière » (RD 820), voisine du manoir, on mesure la distance qui le sépare de Domfront dont on aperçoit le clocher de l’église Saint-Julien, l’Hôtel de ville et le sommet du donjon. Nombre d’habitants, parmi lesquels Sœur Jeanne et Germaine Renard, trouvèrent refuge en son sein le soir du 14 juin 1944, après le terrible bombardement de 20 heures. (Photo L. Letendre).

Mardi 6 et mercredi 7 juin 1944

« La bataille suprême est engagée »
L

a nuit du 5 au 6 juin fut très agitée pour les Domfrontais. Au bruit incessant des avions alliés, dont certains rasaient les toits des habitations, s’ajoutèrent de violents mitraillages, terrorisant la population. Au lever du jour, à l’heure où les premières troupes alliées partaient à l’assaut des plages, l’aviation prit pour cible des convois allemands près du cimetière de Saint-Front ainsi qu’au Pont-de-Caen. À 8 heures 30, deux locomotives furent mitraillées à la gare, laquelle fit une nouvelle fois l’objet d’un sérieux bombardement – le quatrième – vers 13 heures, durant 20 minutes. Le Quartier Notre-Dame ayant été évacué, il ne provoqua aucune victime mais laboura de nouveau les voies ferrées et transforma en torches des wagons de farine. Toute la journée, montant en ligne, les renforts allemands traversèrent la ville. Le soir, vers 19 heures, se dirigeant vers le sud, de nombreuses escadrilles alliées (plus d’une centaine d’appareils, d’après Sœur Jeanne) traversèrent le ciel de la cité médiévale, faisant redouter le pire à ceux qui n’avaient pas évacué la ville. La nuit du 6 au 7 juin fut toutefois relativement tranquille.

Le lendemain, mercredi 7 juin, un nouveau bombardement – le cinquième – matraqua la gare et le Quartier Notre-Dame. Jusqu’alors relativement épargné, l’hôpital fut sévèrement touché et trois bâtiments (le pavillon des femmes, la maison de l’aumônier et une partie de l’ancien bâtiment de l’hôpital) furent anéantis, sans toutefois faire de victime, l’établissement ayant été fort heureusement évacué le 2 juin au soir.

Vue générale du Quartier Notre-Dame prise depuis le parc du château de Domfront où l’on constate la dangereuse proximité de l’hôpital avec la gare. (Photo L.L.).
Seconde vue panoramique du Quartier Notre-Dame prise depuis le même endroit. Plus rapprochée, elle permet de distinguer les différents bâtiments de l’hôpital impactés par les bombes ayant débordé leur cible ainsi que les installations ferroviaires visées par les Republic P-47 Thunderbolt. (Tronchet, Éditeur).
Jardin intérieur de l’hôpital où l’on reconnaît à droite le bâtiment de la chirurgie, à gauche la chapelle et au premier plan, derrière la statue de saint Joseph, protecteur des mourants, la maison de l’aumônier. (Éditeur inconnu).
Au second plan, l’ancien bâtiment de l’hôpital où se trouvaient la cuisine, l’intendance, la pharmacie et le logement des sœurs, est éventré. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
La chapelle de l’hôpital, dont on aperçoit le clocheton, a également souffert. À sa droite, le pavillon des femmes et la maison de l’aumônier sont entièrement détruits. À gauche, le bâtiment de la chirurgie est préservé. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Décombres du pavillon des femmes et de la maison de l’aumônier. En arrière-plan, le bâtiment de la chirurgie dont on aperçoit trois des fenêtres et l’une des portes du rez-de-chaussée. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
La chapelle délabrée (à g.), le pavillon des femmes et la maison de l’aumônier détruits (au centre) et l’ancien bâtiment éventré (à dr.). (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Au centre, le pavillon des enfants est lui aussi en partie délabré. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Photographiée depuis le jardin privé des sœurs, l’étable de l’hôpital a perdu une partie de sa charpente de toiture. Sur celle encore en place, toute la couverture a été soufflée des chevrons et des liteaux. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Au premier plan à gauche, la ferme de l’hôpital. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Un hangar de l’hôpital. À droite, un des pignons du pavillon des enfants. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de bâtiments annexes de l’hôpital. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).

Mardi 13 juin 1944

Les B-26 Marauder entrent en jeu
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u 8 au 12 juin 1944, Domfront connut une période relativement calme. Gênée dans ses opérations par de mauvaises conditions météorologiques (les 8, 9 et 11 juin, le plafond trop bas rendit impossible toute opération d’envergure sur la ville), l’aviation alliée ne se manifesta que très sporadiquement. Les ouvriers de l’Organisation Todt profitèrent de ce répit pour tenter de réparer les dégâts causés par les bombardements des jours précédents. « Le 8 juin au matin écrit André Rougeyron, une formation importante de travailleurs des entreprises Todt envahit la ville. Ils viennent pour réparer, ou plutôt tenter de réparer les voies ferrées ». Le 12 juin, malgré un «  ciel très bleu », comme le rapporte Sœur Jeanne, rien ne se passa. Le 13, le temps se couvrit de nouveau mais, en début de soirée, cette couverture nuageuse se disloqua suffisamment sur la région de Domfront pour permettre la reprise des opérations. «  Le temps se relève un peu ce soir écrit Sœur Jeanne. En sortant de table, on entend de nouveau les avions : environ une cinquantaine de chasseurs passe rapidement en direction d’Alençon ». Ces chasseurs, des P-47 Thunderbolt du 404th Fighter Group en mission de reconnaissance armée dans le secteur de Vire et de Domfront, avaient comme objectif la destruction des véhicules sur route et celle des convois ferroviaires. Un peu plus tard, vers 21 heures, ce furent des bombardiers moyens Martin B-26 Marauder qui, pour la première fois, entrèrent dans la danse. « Un roulement lourd emplit le ciel relate Sœur Jeanne, s’amplifie, se fait menaçant. Dans le contre-jour, j’aperçois six escadrilles de forteresses arrivant du sud-ouest, beaucoup plus bas que d’habitude. Elles sont si serrées et avancent avec une lenteur si régulière qu’on les dirait mues par un moteur unique ».

Bimoteurs à ne pas confondre avec les Boeing B-17 Flying Fortress, les fameux quadrimoteurs de la 8th Air Force qui n’intervinrent jamais dans le ciel de Domfront, ces B-26 s’approchant en formation serrée appartenaient au 387th Bombardment Group (Medium) commandé par le Colonel Thomas M. Seymour. Rattaché au 98th Combat Bombardment Wing du IX Bomber Command de la 9th Air Force, ce groupe de bombardement était basé en Angleterre sur le terrain AAF-162 de Chipping Ongar, dans l’Essex. Sa mission ce soir-là – la 171ème du « Group » – était de nouveau la destruction des dépôts de carburant disséminés dans le secteur de la gare. C’est donc une nouvelle fois au Quartier Notre-Dame que l’aviation américaine allait s’en prendre.

Arrivant du sud-ouest et volant à faible altitude en raison des conditions météorologiques, les appareils se présentèrent dans le ciel de Domfront disposés par « box ». Mise au point fin 1942 par Curtis E. LeMay, le légendaire General (alors Lieutenant Colonel) de la 8th Air Force, cette formation de combat consistait à réunir les avions par groupe de six (appelé « flight ») en les faisant voler par trois en formation en V à des altitudes décalées. Trois « flights » (comptant 18 avions) formaient un « box », les missions de bombardement rassemblant généralement deux ou trois « boxes ». Curtis LeMay estimait que ce genre de formation tactique procurait aux appareils le plus haut degré de protection contre les avions ennemis en les empêchant de s’installer au milieu des bombardiers et en regroupant la puissance de feu défensive. Elle optimisait par ailleurs le bombardement en assurant une plus grande concentration des bombes sur la cible et permettait de réaliser une économie significative de carburant, les avions suiveurs bénéficiant de l’effet d’aspiration généré par ceux de tête.

Film d’une formation de bombardiers moyens Martin B-26 Marauder. Disposés par « box » de 18 et réunis en « flight » de 6, les avions volent par 3 en formation en V à des altitudes décalées. (Coll. U.S. Air Force).
Dans le langage des soldats de l’U.S. Air Force, les « six escadrilles » dont parle Sœur Jeanne correspondent donc à six « flights » formant deux « boxes » et réunissant 36 bombardiers au total. Un nombre d’avions que confirme le témoignage d’André Rougeyron. «  Vers 21 heures écrit-il, une formation de 36 appareils bombarda le quartier de la gare, cinq immeubles sont détruits (Poutrel, Maisonnier, Day, Lemonnier et Lecrônier) ; il n’y a pas de victime : depuis longtemps, toute cette zone est évacuée. L’attaque ne s’explique guère, sinon par la présence d’un convoi d’essence dans la cour du garage Poutrel ».

Cette attaque des Marauder était-elle vraiment peu justifiée ? La concession faite par André Rougeyron est importante et suffit à rendre raison de ce raid aérien car si le convoi allemand était présent dans la cour de ce garage ce soir-là, c’est effectivement parce qu’il abritait l’un des dépôts d’essence servant à ravitailler les forces allemandes en transit dans le secteur. Or, avant et pendant la bataille de Normandie, toute la stratégie aérienne alliée visa à paralyser ce ravitaillement, le pétrole constituant le véritable nerf de la guerre. Et d’ailleurs, si l’un des buts du « Transportation Plan » était de mettre à mal le système ferroviaire français (un but atteint puisque, d’après une étude faite après la libération par le bureau scientifique de l’Armée française, sur l’ouest de la France, le trafic ferroviaire déclina au mois de mai 1944, s’effondra à la fin de ce mois et n’était plus qu’à 10% de sa valeur initiale au 15 juin), ce n’était pas simplement pour retarder le plus possible le mouvement des renforts allemands, c’était aussi et surtout pour les obliger à utiliser davantage les routes et donc à consommer davantage d’essence. Cela au moment même où un autre plan mené parallèlement, le « plan du pétrole » mis au point par le Lieutenant General américain Carl A. Spaatz, commandant les US Strategic Air Forces en Europe, prévoyait la mise hors d’état de fonctionnement des raffineries et des usines de carburant synthétique du Reich par d’autres raids aériens. Une fois le système ferroviaire complètement désorganisé, c’était donc à l’approvisionnement en carburant des forces allemandes que les avions alliés devaient s’attaquer en priorité, le moindre dépôt, si modeste soit-il, devant impérativement être détruit. S’intégrant dans ce plan d’ensemble, le bombardement du 13 juin au soir, qui fut bref – « cela a duré à peine cinq minutes » note Sœur Jeanne dans son Journal –, se trouvait ainsi pleinement justifié.
Photographie prise après le débarquement d’un « flight » de bombardiers moyens B-26 Marauder de la 9th Air Force. Notons la présence des bandes d’invasion peintes sur tous les appareils participant à l’opération « Overlord » et destinées à éviter toute méprise avec les appareils ennemis. (Coll. U.S. Air Force).
Martin B-26 Marauder du 387th BG. Nous ignorons si cet appareil (n° de série 42-95857, code de fuselage FW-K) fit partie des 36 bombardiers moyens ayant participé à la mission n° 171. Baptisé « Shootin’In », il appartenait au 556th Bombardment Squadron qui formait, avec les 557th, 558th et 559th BS, le groupe de bombardement ayant opéré sur Domfront le 13 juin. Notons que des deux premiers chiffres du numéro de série des avions, marquant l’année de fabrication, le tout premier est en général biffé parce que redondant. Ce qui permet aux autres numéros d’apparaître en plus gros et d’être ainsi plus facilement lisibles en vol. (Coll. U.S. Air Force).
Mis au rebut à l’été 1946 après avoir effectué 135 missions, le « Shootin’In » possède aujourd’hui son double. L’U.S. Air Force Museum de la Wright Patterson Air Force Base de Dayton (Ohio) a en effet acquis un B-26 qu’il a repeint à l’identique. Notons que les bandes noires et jaunes peintes en diagonale sur le stabilisateur vertical servaient à l’identification de l’unité : le 387th BG. (Coll. USAF Museum, montage L. Letendre).

Mercredi 14 juin 1944

Une erreur lourde de conséquences
L

e mercredi 14 juin 1944 fut le jour le plus noir que Domfront ait connu de toute la bataille de Normandie. C’est en effet à cette date qu’eut lieu le raid aérien le plus meurtrier de tous ceux que la cité endura, provoquant la mort de 27 personnes – des victimes civiles dont nous avons rappelé le souvenir dans la première partie de cette étude – et infligeant à la ville des dégâts matériels considérables. Les récits vécus de Germaine Renard et d’André Rougeyron ainsi que le Journal de Sœur Jeanne ont parfaitement restitué l’atmosphère de terreur et le spectacle de désolation que provoqua ce bombardement et il n’entre pas dans nos intentions d’en proposer ici un résumé. Nous préférons nous pencher sur un document d’archives militaires américain récemment déclassifié selon l’« Executive Order 13526 - Classified National Security Information » signé par Barack Obama le 29 décembre 2009, lequel nous permet d’apporter un éclairage nouveau sur cette tragique journée du 14 juin. Nous ayant été aimablement communiqué par Stéphane Robine (des Archives départementales de la Manche) et son réseau de connaissances en Angleterre et aux U.S.A., ce document d’archive est un extrait d’un rapport d’activité de la 9th Air Force conservé à Montgomery (Alabama) par l’Air Force Historical Research Agency (dépositaire des archives historiques de l’U.S. Air Force) présentant les missions effectuées par certains de ses groupes de bombardement le 14 juin 1944 dans le ciel normand : celles des bombardiers moyens Marauder du 387th BG sur Ambrières-les-Vallées, des bombardiers légers Havoc du 410th BG sur Vire et des Havoc du 409th BG sur Flers.

Rapport d’activité de la 9th Air Force
Declassified IAW, Executive Order 13526
(Série CO-O70. Page D-2)
(AFHRA)
Rapport d’activité de la 9th Air Force
Declassified IAW, Executive Order 13526
(Série CO-O70. Page E-2)
(AFHRA)
La nature des objectifs visés par ces missions est clairement mentionnée : il s’agissait à chaque fois de nœuds routiers (« road junctions ») ou de points de passage obligés (« choke points »). Ces attaques visant à empêcher la circulation routière des troupes allemandes entraient également dans le programme du « Transportation Plan », lequel n’était pas exclusivement ferroviaire mais possédait aussi un volet routier. Dès janvier 1944, après consultation de Montgomery, l’Air Chief Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory envisagea ainsi d’« aplanir (« flatten out », en angl.) les centres importants de communication routière comme Lisieux, Falaise, Caen, Saint-Lô et Carentan » [6]. Sans cela, d’importantes formations ennemies risquaient d’atteindre la zone du débarquement en moins de 24 heures. Ce qui se concrétisera le 29 mai par une liste de cibles prioritaires devant être attaquées le 6 juin pour retarder tout mouvement routier : Villers-Bocage, Saint-Lô, La Haye-du-Puits, Coutances, Thury-Harcourt, Lisieux, Falaise, Condé-sur-Noireau, Vire, Flers, Argentan et Pont-l’Évêque. Après le débarquement, ce programme se poursuivit et la ville de Flers, qui fut déjà l’objet d’un terrible bombardement sur la gare et le centre-ville le 6 juin à 19h45 (26 Boeing B-17 Flying Fortress de la 8th Air Force y déversant 73,3 tonnes de bombes, provoquant la mort de 97 personnes), devait de nouveau être prise pour cible. Mais les choses ne se déroulèrent pas comme prévu, pour le plus grand malheur de Domfront et de ses habitants.

38 bombardiers légers A-20 Havoc du 409th BG basé en Angleterre sur le terrain AAF-165 de Little Walden, dans l’Essex, et formé des 640th, 641st, 642th et 643rd Bombardment Squadrons, furent mobilisés pour cette mission du 14 juin sur Flers. Flers où de nouveaux bombardements se produisirent dans la nuit du 7 au 8 juin et dans celle du 11 au 12. Des immeubles furent détruits et certains quartiers, épargnés jusqu’alors, subirent le sort commun. Les 13 et 14 juin dans la journée, les attaques aériennes reprirent, pilonnant la Place Centrale (ou Place des « Cinq Becs », actuelle Place du Général de Gaulle), le principal nœud routier situé au cœur même de la cité. Matériellement désastreux, ces bombardements ne provoquèrent qu’un seul mort, un de trop, la population ayant évacué la ville. Pour la seconde fois le 14 juin, Flers allait donc subir l’assaut des bombardiers venant parachever leur œuvre destructrice. Mais une erreur en décida autrement. Examinons attentivement la section du rapport d’activité de la 9th Air Force consacrée à la mission du 409th BG devant s’opérer sur Flers.

Personnels au sol et équipages des quatre escadrilles formant le 409th Bombardment Group (Light). (Coll. 409th Bomb Group Association, montage L. Letendre).
On y lit la mention suivante : « Through a personnel error in lead aircraft, Box I, Domfront was mistaken for Flers and bombed ». Traduction : « Par une erreur personnelle de l’avion-leader du Box I, Domfront a été pris pour Flers et bombardé ». Les officiers du renseignement du 409th (le « Group S-2 ») rapportent que la couverture nuageuse sur l’objectif initial (Flers) était maximale (10 sur 10) mais que le temps ne fut toutefois pas responsable de l’attaque sur la cible d’occasion. (« Group S-2 reported 10/10ths cloud over primary, however weather was not responsible for the attack on a target of opportunity »). La ville de Domfront prise par erreur pour la « cible principale » (« primary » [target]) et se transformant en « cible d’occasion » (« target of opportunity »), soit, en langage militaire, un objectif n’ayant pas été choisi ou prévu pour la mission, une cible non planifiée ou demandée – quelle découverte ! Jamais cette « erreur » n’a été révélée. Nous qui pensions que, depuis 70 ans maintenant, tout avait été dit ou écrit sur la bataille de Normandie, nous voilà persuadé du contraire. Alors qu’on s’éloigne un peu plus chaque jour de cette période historique, on se rend compte que sa connaissance peut encore s’affiner, notamment parce que de nouveaux éléments de recherche ou d’investigation – à l’image de ce rapport d’activité de la 9th Air Force déclassifié le 31 décembre 2009 – émergent enfin des fonds d’archives militaires.

Pourquoi d’ailleurs ce rapport a-t-il été déclassifié si tardivement ? Serait-ce pour garder secrète l’« erreur » le plus longtemps possible ? On sait combien la moralité des bombardements alliés sur les populations civiles a suscité de vifs débats et comment de nos jours, selon la législation en vigueur, à savoir les conventions de Genève de 1949, et tout particulièrement le premier des deux protocoles additionnels à celles-ci, signés en 1977, ainsi que le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, signé en 1998, ils seraient tenus pour des « crimes de guerre ». Sans entrer dans de tels débats qui débordent le cadre de cette étude, nous constaterons seulement que si, comme nous l’avons remarqué précédemment, le volet ferroviaire du « Transportation Plan » a atteint ses objectifs en paralysant le système ferroviaire français, jouant ainsi un rôle bien réel dans la réussite de l’opération « Overlord », le bilan du volet routier est en revanche plus nuancé. On peut même affirmer qu’il n’a pas atteint ses objectifs, car si les bombardements ont bien rempli de gravats les rues des villes, ils ont eu peu d’effets sur les mouvements ennemis, des détours ayant été facilement établis. Ainsi, après le bombardement de Domfront le 14 juin, pour traverser la ville d’ouest en est (en venant de Mortain, par exemple), les convois allemands passaient par la rue Montgomery, la Place de la Roirie, la rue Clément Bigot, celle de la Poterne et celle du Champ de Foire, avant de rejoindre la route de La Ferté-Macé ou celle d’Alençon. L’allongement ne faisait qu’une centaine de mètres. Et vers le 20 juillet, les ouvriers de l’Organisation Todt ayant déblayé les décombres de la rue de la République et de celle du Maréchal-Foch, les convois recommencèrent à circuler normalement, n’empruntant plus l’itinéraire indiqué ci-dessus. Faut-il en conclure, comme MM. Hubert, Paillette et Thimothée dans leur récit, que le bombardement du 14 juin « ne servit absolument à rien sauf à anéantir toute une partie de la ville » ? Sans doute eurent-ils été plus amers encore s’ils avaient su qu’il était le résultat d’une erreur de navigation.

Si cette erreur commise le 14 juin 1944 vient assurément du bombardier-navigateur de l’avion-leader du Box I, tout le problème reste cependant de savoir ce qu’a bien pu être la cause ayant entraîné une telle méprise. Si ce ne sont pas les conditions météorologiques, sont-ce les coordonnées géographiques de Flers en degrés-minutes-secondes calculées dans le système géodésique WGS 84 qui ont été mal relevées ? Le rapport ne l’explique pas, malheureusement. Il est en revanche très précis sur l’exécution de l’opération et les résultats obtenus. Reprenons-en méthodiquement la lecture.

Au cours de cette mission du 409th BG, qui regroupa sans doute des avions appartenant à chacune des quatre escadrilles formant le groupe de bombardement, deux appareils (« aircraft » en angl., abrégé «  a/c ») ne bombardèrent pas (« 2 a/c failed to bomb »), un appareil connaissant une défaillance mécanique («  a mechanical failure »), tandis qu’un autre, l’un des avions de réserve (« spare », en angl.), rentra rapidement à la base («  1, spare, early return »). Selon une procédure standard en effet, lors d’une mission mobilisant deux « boxes » de A-20 Havoc, deux avions se tenaient en réserve. Décollant avec la formation et l’accompagnant jusqu’à la Manche, ils étaient prêts à remplacer un appareil rencontrant un problème et rentraient à la base si tel n’était pas le cas. Un seul avion nécessitant d’être remplacé, le second retourna donc rapidement à la base. Parvenus au-dessus du sol normand, deux bombardiers légers furent endommagés par des tirs de la « flak » (la défense anti-aérienne allemande), sans connaître toutefois de pertes ou de victimes (« no losses, casualties »). Trois « FW-190 » et un « ME-109 » (les redoutables Focke-Wulf Fw 190 et Messerschmitt Bf 109 de la chasse allemande) furent aperçus dans le secteur de Cabourg. Le ME-109 s’approcha à environ 550 mètres (« 600 yards ») mais renonça à engager le combat (« failing to press attack »), un Havoc tirant une cinquantaine de balles à l’approche de l’avion ennemi (« enemy aircraft », abrégé « e/a ») sans que le résultat puisse être observé. Il n’y eut aucune victoire revendiquée (« no claims ») des deux côtés.

Le bombardement s’effectua à une altitude de « 12 000-12 350 » pieds (soit entre 3657 et 3764 mètres d’altitude). Équipé du viseur Estoppey D-8 fabriqué par National Cash Register Inc., la version J du A-20 pouvait atteindre des objectifs bien précis depuis une altitude moyenne. Précisons qu’il existait en effet deux types de Havoc en service au sein du 409th BG : le A-20G et le A-20J. À la différence du A-20G qui possédait un nez en dur dans lequel étaient montées quatre mitrailleuses Browning 12,7 mm de calibre 50, le A-20J avait un nez en plexiglas abritant le poste du bombardier-navigateur équipé du viseur D-8. Cet avion était utilisé par les leaders de chaque « flight », les A-20G devant larguer leurs projectiles quand ils voyaient le leader déverser les siennes. Tandis que l’A-20G comptait trois membres d’équipage (un pilote, un mitrailleur de tourelle et un mitrailleur arrière), l’A-20J en comptait donc un supplémentaire : le bombardier-navigateur dont le rôle était de préparer le plan de vol, d’assurer la navigation pendant la mission et, après avoir acquis la cible en approche finale, de donner l’ordre au pilote de déclencher le largage au moment voulu.
Le viseur Estoppey D-8 équipant les Douglas A-20J Ha-voc et sa caisse de transport. (Coll. National Air and Space Museum).
Équipant également les North American B-25 Mitchell ainsi que les Douglas A-26 et B-26 Invader, cet instrument d’optique était conçu pour les bombardements de basse et moyenne altitude, tandis que le Norden M9 (embarqué à bord des Martin B-26 Marauder, des Boeing B-17 Flying Fortress et des Boeing B-29 Superfortress) et le Sperry S (équipant notamment les Consolitated B-24 Liberator) l’étaient pour ceux de haute altitude. (Coll. U.S. Air Force).
Un « flight » de six Douglas A-20J et G Havoc larguant ses bombes 500 lb GP Bomb AN-M64. Notons que l’avion leader est toujours un A-20 de type J. Une fois que le bombardier-navigateur, assis dans le nez en plexiglas incliné de l’appareil, a acquis sa cible à l’aide du viseur Estoppey D-8, il donne l’ordre par radio au pilote de procéder au largage et les cinq autres appareils (des A-20G au nez en dur) doivent le suivre aussitôt. (Coll. C. Sgamboti).
Recouvert ici d’une housse de protection, le viseur de bombardement était installé dans le nez vitré du A-20J où opérait le bombardier-navigateur. (Coll. F.J. Cachat).
C’est à ce poste que l’erreur fatale de navigation fut commise par l’avion-leader du Flight I du Box I. (Coll. F.J. Cachat).
Le nez tôlé d’un A-20G dans lequel étaient logées quatre mitrailleuses calibre 50, deux autres étant installées sous le nez, comme sur l’A-20J. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Lors de cette mission du 14 juin 1944, sur les 38 appareils mobilisés (« 38 a/c dispatched »), « 36 » larguèrent « 183 G(eneral) P(urpose) » (bombs) de « 500 » (lb), soit 183 bombes explosives de 250 kg modèle AN-M64 que nous présenterons par la suite. Un bombardement somme toute de faible intensité quand on compare les 45,75 tonnes de bombes larguées aux 2276 déversées sur Caen pendant la seule nuit du 7 au 8 juillet 1944 ou aux 9 790 sur Le Havre entre le 5 et le 11 septembre – des bombardements massifs qui firent plus de 2000 victimes chacun.

Le rapport fait état « box » par « box » des conditions dans lesquelles ce bombardement s’est déroulé et évalue ses performances.

S’agissant du Box I, les conditions météorologiques rencontrées lors du bombardement sont relevées comme ayant été « dégueulasses » (« Gross ») et le résultat du bombardement est estimé comme ayant été correct (« Fair »). Le secteur visé est présenté comme étant la partie ouest d’une zone de stationnement dans le secteur est de Domfront (« the W part of a park area in E section of Domfront »). Cette zone de stationnement est celle située à proximité immédiate de la rue du Pressoir, à une centaine de mètres à l’est de l’objectif visé par les Havoc du Box I : l’intersection de la rue du Maréchal-Joffre (RD 908) et celle du Maréchal-Foch (RD 976). La concentration des bombes est évaluée comme ayant été bonne (« Good concentration »), mais elles furent centrées au niveau de la rue de la République et du Grand Carrefour, soit à environ 260 mètres à l’ouest du point principal d’impact voulu à Domfront, située bien approximativement à 23 km au sud-sud-ouest de la cible initiale (« centered 850 feet West of the desired M.P.I. [Main Point of Impact] at Domfront, 14,5 miles South-Southwest of primary »). Des coups au but sont relevés sur la route secondaire nord-sud (l’actuelle RD 962 menant à Flers) et la route principale est-ouest reliant Paris via Alençon à la Bretagne (RD 976), trois cratères (« three craters ») étant constatés sur la route principale et un sur la route secondaire. De nombreux coups sont également constatés sur les immeubles attenants à l’intersection (« numerous strikes on buildings adjacent to intersection »).

Concernant le Box II, les conditions météorologiques rencontrées lors du bombardement sont naturellement relevées comme ayant été les mêmes et le résultat du bombardement est également estimé comme ayant été correct. Le secteur visé était un espace carré ouvert près du centre de Domfront (« an open square near center of Domfront »). Ce secteur est celui du Carrefour du Pissot, nœud routier situé au nord de la commune. La concentration des bombes est également évaluée comme ayant été bonne, mais elles furent centrées à environ 244 mètres au nord du point principal d’impact voulu («  centered 800 feet North of desired M.P.I. »). Des coups au but sont considérés comme possibles («  possible direct hits ») sur la route principale de la ville et sur la route secondaire au nord. La plupart des coups sont relevés comme ayant frappés les champs au nord, touchant de petites habitations (« most strikes in fields to North, covering small buildings »).

Le bombardement débuta vers 20 heures. Si les projectiles furent bien largués dans le périmètre des nœuds routiers visés, leur degré de précision fut toutefois relatif, l’erreur par rapport aux points prit pour cible étant de l’ordre de 250 mètres. Un niveau de précision jugé cependant correct par les militaires. L’intersection visée par le Box I se situant au cœur de la cité, son bombardement – qui dura 7 minutes, d’après le témoignage de Germaine Renard – ne pouvait que heurter le dense tissu urbain qui l’entourait, si bien qu’on ne peut pas le qualifier de bavure ou d’accident mais d’élément structurel d’un tel bombardement effectué à une altitude moyenne, laquelle entraîne fatalement une dispersion des projectiles. On peut néanmoins reprocher aux bombardiers de s’être placé à une altitude trop élevée au vu de l’absence de défense anti-aérienne. Arriver sur la cible à une altitude plus basse (comme ce fut le cas le 15 juin, nous le verrons, lorsque les Havoc du 416th BG attaquèrent le secteur du Quartier Notre-Dame entre 2500 et 3000 pieds, soit entre 762 et 914 mètres d’altitude) eut sans doute permis au bombardement d’être plus efficace. Si maintenant l’objectif (inavoué) de ce genre de bombardement était moins de faire des cratères sur les voies de circulation que de provoquer des monceaux de ruines qui obstruent ce qui avait été une rue, ce qui serait faire bien peu de cas de la vie humaine, alors on peut dire qu’il a atteint son but.

En effet, après le passage des deux formations de bombardiers, le Grand Carrefour, la rue des Barbacanes, le début de la Grande Rue, la rue de la République, le début de la rue des Fossés-Plisson, presque toute la rue du Maréchal-Foch jusqu’à l’intersection de la route de La Ferté-Macé et de celle d’Alençon (RD 908/RD 976), la rue d’Enfer, une bonne partie de la rue du Chêne-Vert et l’entrée du Champ de Foire ne formaient plus qu’un amas de ruines. Sur le versant nord de la ville, à proximité du carrefour du Pissot, quelques maisons situées Place Saint-Julien, rue Clément-Bigot, ruelle des Buttes, ainsi que le nouveau presbytère furent détruits, d’autres devant l’être par l’incendie quelques heures plus tard. Toute la nuit, on retira les morts et les blessés qui gisaient sous les décombres. On les conduisit à un poste de secours établi à la mairie par M. Belin, premier adjoint, et M. le Docteur Lévesque. Après les premiers soins, on emmena les blessés vers le manoir de la Guyardière où l’hôpital de Domfront avait été transféré à la suite des bombardements successifs du quartier de la gare. L’affolement était tel que les Domfrontais n’osaient plus circuler dans la ville. Les victimes furent enterrées – du moins celles que l’on retrouva à ce moment – dans divers jardins de la ville, notamment dans celui de l’ancien presbytère, à la Juvinière, et dans celui du docteur Rémon-Beauvais, personne ne se risquant à les conduire au cimetière de La-Croix-des-Landes.

Des images de ce bombardement du mercredi 14 juin 1944, si tragique pour tant de familles, ont été fixées sur la pellicule. Nous en avons déjà présenté dans la première partie de cette étude. Nous en proposons d’autres ci-dessous regroupées secteur par secteur, sous la forme d’un album-souvenir, en hommage aux 27 personnes qui trouvèrent la mort lors de ce raid aérien ainsi qu’à ceux qui souffrirent dans leur cœur en perdant des êtres chers. Pour mesurer l’importance des destructions infligées à la ville, nous présentons en contrepoint un certain nombre de photographies de Domfront prises avant-guerre. Illustrant pour la plupart des cartes postales anciennes, ces clichés s’avèrent précieux pour se représenter la configuration des lieux avant qu’ils ne soient frappés de plein fouet par le bombardement.
Vue aérienne de Domfront prise le 17 août 1944 par les Américains et localisation des six secteurs de la ville présentés ci-dessous.
C’est tout à un parcours que cet album-souvenir invite. Or, pour en suivre les étapes et saisir le sens des légendes accompagnant les photographies (légendes indissociables les unes des autres), il est préférable de le consulter de gauche à droite et de haut en bas.
[1] - Secteur du Grand Carrefour
Photographie du tout début du XXe siècle de la rue du Maréchal-Foch (anciennement rue d’Alençon) prise en direction du Grand Carrefour, de la Grande Rue et de la Tour d’Alençon dont le sommet est visible derrière l’Hôtel du Commerce (hôtel qui, après avoir porté quelques années le nom d’Hostellerie du Donjon, sera rebaptisé Hôtel du Donjon jusqu’à sa destruction en juin 1944). (Éditeur inconnu).
Les mêmes lieux après que le désastre se soit abattu sur la ville. Des monceaux de ruines obstruent la rue. Le pavage a disparu sous les gravats. L’hôtel et la petite échoppe construits au pied de la Tour d’Alençon sont écrasés. (Coll. L. Letendre).
Cliché du tout début du XXe siècle montrant la rue de la République, prise en direction du sud. Au premier plan à droite, à l’angle nord de la rue des Fossés-Plisson, on voit l’entrée de l’Hôtel du Commerce. À l’angle sud, on aperçoit le café Chauvin dont les locaux seront ensuite occupés un temps par un bureau de la Société Générale puis de nouveau transformés en café baptisé La Terrasse en 1944. (Tronchet et Chevrier, Éditeurs).
Le Bureau de la Société Générale dans l’entre-deux guerre à l’angle de la rue de la République et de celle des Fossés-Plisson. D’abord occupés par le café Chauvin, les locaux furent ensuite rachetés par André Lafontaine et de nouveau transformés en café baptisé La Terrasse en 1944. (Éditeur inconnu).
Au débouché de la rue des Fossés-Plisson, au beau milieu de la rue de la République, on distingue l’un des trois cratères relevés par le rapport de la 9th Air Force sur la « route principale ». L’homme qui l’observe donne une idée de la taille de l’entonnoir. L’immeuble situé à proximité (à l’angle sud de la rue des Fossés-Plisson et de la République, abritant le café Chauvin rebaptisé La Terrasse en 1944) est foudroyé. À l’arrière-plan, la maison du grossiste en épicerie et en carburant André Timothée a échappé au bombardement. Au soir du 14 juin, à 19 heures, accompagnée de sa fille et de son employée, Germaine Renard y dîna dans la cave en compagnie de la famille Timothée. Ils y endurèrent le bombardement de 20 heures avant de fuir vers le manoir de la Guyardière. (Coll. L. Letendre).
Sur ce cliché de la rue des Fossés-Plisson déjà présenté dans la première partie de cette étude, on reconnaît, à gauche, l’emplacement du café La Terrasse avec, au sol, l’un des éléments en fer forgé de son balcon (aisément reconnaissable sur les seconde et troisième cartes postales), lequel donnait, au premier étage, sur la rue de la République. La maison adjacente encore intacte est celle qui appartenait alors à Mme Trouillard. (Coll. L. Letendre).
Autre vue des ruines du café La Terrasse dont on aperçoit de nouveau au sol l’un des éléments en fer forgé de son balcon. (Coll. L. Tarot).
Tenancier du café La Terrasse rue de la République, André Lafontaine décédera quatre jours après le bombardement du 14 juin 1944 des suites de ses blessures, à l’âge de 35 ans. On le voit ici heureux, prenant la pose avec sa femme pour leur photo de mariage. Un bonheur bientôt brisé par la cruauté de la guerre. (Coll. O. Leverrier).
En poursuivant vers le bas de la rue de la République et en s’engageant dans la rue du Mont Margantin, on accède (presque à hauteur de la maison Thimothée) à La Marotte, la maison de Gabriel Hubert et Germaine Renard, photographiée ici avant-guerre. (Coll. J. Hubert).
« Pauvre Marotte ! » soupira Germaine Renard lorsqu’elle revint y chercher quelques effets personnels le 17 juin. La maison est ici photographiée du coté du pignon nord de la façade principale. « Trois entonnoirs occupent la superficie du jardin ; trois autres bombes tombées le long de la maison en ont éventré le mur arrière qui est en partie écroulé. Ma chambre est à claire-voie sur le jardin ; la salle de bain n’a plus qu’une paroi. Un chapelet de projectiles s’est égrené là, dont les entonnoirs se touchent et se suivent, en direction de la rue d’Enfer ». (Coll. J. Hubert).
Vue du pignon sud de la façade principale de La Marotte. La porte bloquée, Germaine entra par la fenêtre, y découvrant les fruits d’une vie de labeur brisés, arrachés, éclatés, aplatis, éparpillés, écroulés. Tout y était sens dessus dessous, « un long et lourd morceau des bordures de ciment qui encadraient les plates-bandes du jardin » se retrouvant même projeté dans la chambre à coucher. (Coll. J. Hubert).
Photographie prise en direction du nord, dans un secteur de la ville où fleurissaient des jardins luxuriants ; on y aperçoit « les entonnoirs [qui] se touchent et se suivent, en direction de la rue d’Enfer » dont parle Germaine Renard. La Marotte se situe à l’extrême-gauche du cliché. (Coll. D. Yvetot).
Entourée, La Marotte. La façade arrière et le pignon sud furent très durement touchés, beaucoup plus que la façade principale présentée sur les deux clichés précédents. Étoilée, la position du photographe. Fléché, l’angle de prise de vue qu’il adopta sur « cette région lunaire où ne règnent plus que la stérilité et la mort », comme dit Germaine Renard. (Coll. U.S. NARA, détail).
En remontant la rue de la République, on découvre la publicité peinte sur le pan de façade encore debout de l’immeuble où André Lafontaine fut grièvement blessé avant de succomber, avec, au pied, un poteau indicateur signalant le danger qu’il représente, et sur l’hôtel, le dernier nom que l’établissement ait porté : l’Hôtel du Donjon. Au centre, mains sur les hanches, les Domfrontais ont très certainement du mal à réaliser ce qu’il s’est passé. Ayant perdu en un instant tous les repères de leur vie quotidienne, ils sont brutalement entrés dans un autre monde. (Coll. D. Yvetot).
En adoptant un plan plus serré et en se plaçant au niveau même du cratère, on aperçoit (au premier plan, à gauche) le pan de façade encore debout, et, juste derrière, l’Hôtel du Donjon dont l’aile sud n’est pas entièrement détruite (comme l’est son aile nord), mais terriblement endommagée. Si, à l’angle de la rue du Maréchal-Foch, l’immeuble a disparu, le bâti de celui aux balcons en bois a résisté, bien que l’étage supérieur et avec lui le troisième balcon aient été détruits et que l’intérieur de l’immeuble ait été ravagé par les flammes le 15 juin, comme l’immeuble à sa gauche ainsi que le bureau de recrutement de la sinistre L.V.F. (à l’extrême-droite... du cliché !). (Coll. D. Yvetot).
Vue prise avant-guerre depuis la rue des Fossés-Plisson du bâtiment aux trois balcons de la rue de la République. (Éditeur inconnu).
Plus récente que les deux premières présentées précédemment, cette carte postale permet de voir l’ensemble de l’Hôtel du Donjon et plus particulièrement son pignon nord, totalement anéanti lors du bombardement du 14 juin. Remarquons qu’après avoir été baptisé Hôtel du Commerce, l’établissement fut renommé Hostellerie du Donjon, l’auvent de porte ayant été remplacé et le bec de gaz, supprimé. L’établissement changea ensuite une nouvelle et dernière fois de nom, adoptant celui d’Hôtel du Donjon. Notons également que le café Chauvin n’est plus en exploitation, remplacé par un bureau de la Société Générale. (Le Meur, Éditeur).
L’Hôtel du Donjon tel qu’il était au début des années 1930 alors que M. Berson en était le nouveau propriétaire. (Photo Courtot).
Vue de la salle de restaurant de l’Hôtel du Donjon. André Guillemois, le cuisinier de l’établissement né le 28 mai 1920 à Romillé (35) et domicilié à Domfront, fut tué au cours du bombardement du 14 juin 1944. Son corps fut découvert dix jours plus tard par une équipe de jeunes de l’équipe de secours de Deauville et identifié grâce à ses papiers retrouvés sur lui. (Éditeur inconnu).
Prise en haut de la rue de la République, la vue qu’offre cette carte postale montre le Grand Carrefour tel qu’il était au tout début du XXe siècle, du temps de l’Hôtel du Commerce. (Éditeur inconnu).
Le même lieu après le bombardement du 14 juin. Les gens circulent difficilement à travers les décombres des immeubles ravagés, passant devant celles de l’Hôtel du Donjon où quelques soldats allemands et André Guillemois trouvèrent la mort. Notons qu’à l’angle de la rue du Maréchal Foch et de celle des Barbacanes, un bureau du Crédit du Nord (protégé par des barreaux de fenêtre) avait pris place dans les locaux occupés au tout début du XXe siècle par un magasin de machines à coudre. (Coll. L. Letendre).
Au pied de la tour d’Alençon, regardant vers le bas de la rue de la République, on aperçoit à droite les ruines de l’Hôtel du Donjon et le pan de façade encore debout de l’immeuble où André Lafontaine fut grièvement blessé avant de succomber. (Coll. D. Yvetot).
Cette autre carte postale offre une belle vue sur la Grande Rue, dominée du haut de son clocher en béton par l’église Saint-Julien et filant entre l’Hostellerie du Donjon (adossée à la Tour d’Alençon) et le bâtiment situé à l’angle de la rue des Barbacanes, abritant alors une librairie-papeterie. (Photo L.L.).
Sur cette photographie prise le 14 août 1944 par un reporter-photographe de guerre américain du Signal Corps, les deux bâtiments à l’entrée de la Grande Rue ont quasiment disparu. Seuls quelques pans de murs noircis du bâtiment de droite se sont maintenus, d’où émerge une poutrelle métallique ayant très certainement servi à étayer le plancher du premier étage. Juste derrière, la maison Christiany est gravement touchée. (Coll. U.S. NARA).
À proximité immédiate de la Tour d’Alençon, alors que le déblayage complet des principaux axes routiers de Domfront n’a pas encore été effectué par le Génie américain et que des gravats obstruent toujours l’accès à la Grande Rue, un panneau indicateur placé par les autorités américaines précise que la route du Grand Carrefour est réservée au trafic militaire. (Coll. D. Yvetot).
Sur ce cliché pris depuis le débouché de la rue des Barbacanes, on retrouve la poutrelle métallique de la photographie précédente, avec, à l’arrière plan, la Tour d’Alençon dont la base a également souffert. (Coll. D. Yvetot).
Au pied de la Tour d’Alençon, après que le Génie américain ait procédé au déblayage complet des deux axes majeurs de circulation traversant Domfront – l’axe nord/sud, Caen-Laval (RD 962, anciennement N 807) et l’axe est/ouest, Paris-Bretagne via Alençon (RD 976, anciennement N 162) – et tandis que la ville connaissait un trafic incessant de véhicules, un panneau indique à la population que leur conducteur ne prendront pas de civils à leur bord. (Coll. D. Yvetot).
En prenant du recul et de la hauteur, juché sur les ruines d’un immeuble situé rue des Barbacanes, on aperçoit, à travers des aiguilles de pierre et des cheminées, la Tour d’Alençon, la poutrelle métallique, la maison Christiany, et, à gauche du cliché, la toiture effondrée de l’Hôtel du Donjon. (Coll. D. Yvetot).
Photographie prise après la Première Guerre mondiale, la rue d’Alençon ayant été débaptisée et renommée rue du Maréchal-Foch. Le véhicule présent au milieu de la chaussée pavée se situe à hauteur de la rue du Chêne-Vert et de la rue d’Enfer. (Photo L.L.).
Vue des lieux après le bombardement du 14 juin. La rue est défigurée, meurtrie, totalement méconnaissable. Dans ses ruines furent ensevelies de nombreuses victimes dont certains corps – ceux des sœurs Florentine et Marie Plessis – ne furent retrouvés que le 19 juillet 1944. À gauche de ce cliché, à l’angle de la rue des Barbacanes et de celle du Maréchal-Foch, se tient ce qu’il reste du Crédit du Nord. Au centre, on aperçoit un véhicule garé lui aussi à hauteur de la rue du Chêne-Vert et de la rue d’Enfer. (Coll. L. Tarot).
Sur cette photographie, déjà présentée dans la première partie de cette étude, le camion visible au centre du cliché précédent, jusqu’alors stationné sur le bas-côté de la rue du Maréchal-Foch, entame un demi-tour, toutes les rues du secteur étant obstruées. Savamment camouflé de branchages pour échapper à la vigilance des aviateurs alliés, ce véhicule est très certainement allemand. Quelque soit la direction qu’il veuille prendre, il ne lui fallait qu’une poignée de minutes pour contourner l’obstacle. (Coll. L. Letendre).
La rue du Maréchal-Foch photographiée dans les années 1930. Au premier plan à droite, la maison avec le balcon est celle du docteur Rémon-Beauvais. (Archives municipales de Domfront).
À l’été 1944, le spectacle est désolant. L’hôtel-restaurant À la Crémaillère de Mme Clémentine Guérin (tuée le 14 juin côte de La Raterie) fut touché puis dévoré ensuite par les flammes. (Coll. L. Chevallier).
En un autre temps, il y faisait bon vivre et manger, comme en témoigne ce menu servi le 28 avril 1935 à l’occasion du banquet des pécheurs à la ligne du canton de Domfront et de Passais-la-Conception. (Coll. B. Douettée).
Jeune veuve et propriétaire de l’hôtel-restaurant À la Crémaillère, Clémentine Guérin est ici photographiée à l’été 1943 assurant, au pas de sa jument « Vermouth », le transport de ses clients jusqu’à la gare de Domfront. Elle sera tuée le 14 juin côte de La Raterie, sans doute par une bombe ayant débordé sa cible. (Coll. E. Guérin).
Carte d’identité scolaire d’Ernest Guérin signée par M. Antoine, successeur de M. Herlemont au principat du Collège de Domfront. Ayant perdu son père avant-guerre, Ernest est un orphelin du 14 juin. (Coll. E. Guérin).
Ernest Guérin étudiant consciencieusement dans l’une des salles de classe du Collège de Domfront. (Coll. E. Guérin).
À quelques mètres, la maison du docteur Rémon-Beauvais et la boulangerie Boisgontier subirent le même sort. (Coll. L. Chevallier).
Une boulangerie devant laquelle les Allemands circulaient plus facilement en juin 1940. On voit ici un Panzer I Ausf B monté sur un plateau à double-essieux tracté par un SdKfz 11 leichter Zugkraftwagen (3 t.). (Coll. D. Yvetot).
Ce cliché montre la limite des destructions provoquées par le bombardement du 14 juin rue du Maréchal Foch. L’intersection en forme de Y avec la rue du Maréchal-Joffre (se poursuivant à gauche de la maison formant l’angle des rues) constituait l’objectif des bombardiers du Box I. Elle est intacte, les bombes frappant 260 mètres plus à l’ouest. (Coll. D. Yvetot).
Le Rex, au 47 de la rue du Maréchal-Foch, devant lequel des éléments d’une compagnie d’infanterie allemande se firent photographiés en 1940, très certainement par le professionnel dont le studio se situait juste à côté de l’entrée du cinéma. Ils arborent tous le large sourire des vainqueurs. L’enfant observant la scène du haut de la fenêtre ne se doute pas des souffrances que cette occupation militaire allait engendrer. Mais, comme dans les contes que lui racontait peut-être l’adulte présent à ses côtés, à la fin, les méchants seront punis et les bons, récompensés. (Coll. D. Yvetot).
[2] - Secteur du Pont de Godras
La rue des Barbacanes photographiée au début du XXe siècle depuis le Pont de Godras. Remarquons, à droite, l’une des deux tours de Godras. (G. Hubert, Éditeur).
La rue des Barbacanes photographiée après le bombardement du 14 juin 1944 depuis le Pont de Godras d’où l’on surplombe le chaos inextricable. (Coll. L. Letendre).
La rue des Barbacanes et le Pont de Godras en arrière-plan. Ce renversement de perspective nous permet de voir le lieu depuis lequel la photographie précédente a été réalisée. (Coll. L. Letendre).
Le Pont de Godras photographié au début du XXe siècle depuis la rue des Barbacanes, en direction du Grand Carrefour. La seconde des tours de Godras est visible en arrière-plan. (G. Hubert, Éditeur).
Le Pont de Godras photographié après le bombardement du 14 juin 1944 depuis la rue de Barbacanes. L’angle de prise de vue est le même que celui du cliché présenté dans la première partie de cette étude, mais le plan est plus rapproché. Le poteau indicateur (en bas, à gauche du cliché) signale que la zone est dangereuse. (Coll. E. Giraud).
Photographie du trou béant causé par l’impact d’une bombe sur la voûte du Pont de Godras. Orientée vers le Grand Carrefour, la perspective est inversée par rapport à celle du cliché, présenté dans la première partie de cette étude, pris le 15 août 1944 par le reporter-photographe de guerre du Signal Corps. (Coll. D. Yvetot).
Vue rapprochée de l’impact de la bombe sur la voûte du Pont de Godras réalisée cette fois dans la même direction que celle prise par le reporter-photographe de guerre du Signal Corps le 15 août 1944, celle de la route de Flers. (Coll. L. Tarot).
Bien qu’encore debout mais gênant la circulation des camions, le Génie américain préféra démolir le Pont de Godras avec des explosifs. Ce cliché, réalisé également en direction de la route de Flers, montre deux pelleteuses Osgood à l’œuvre pour déblayer les gravats et les évacuer dans un camion GMC. La photographie est prise depuis le petit escalier de l’habitation de la rue des Barbacanes, visible sur les clichés précédents. (Coll. D. Yvetot).
Bien que de mauvaise qualité, ce cliché est exceptionnel car il a été pris sur le Pont de Godras le 15 juin 1944. La perspective est orientée vers la haute ville (l’une des tours de Godras en haut à gauche n’étant pas visible à cause de l’imperfection de la photographie). À comparer avec le cliché des tours de Godras présenté dans la première partie de cette étude. On y retrouve le poteau électrique en béton, le poteau téléphonique en bois, une cheminée et une ouverture dans un des murs de l’habitation adjacente. (Coll. V. Picault).
D’aussi médiocre qualité mais toujours aussi précieux, ce cliché a également été réalisé sur le Pont de Godras le 15 juin 1944, agenouillé semble-t-il. La perspective est orientée vers la rue des Barbacanes, dans la direction du Grand Carrefour. On distingue cette fois assez bien l’une des deux tours de Godras. De la maison adjacente ne sont restées debout que les deux cheminées. (Coll. V. Picault).
Ouvrage d’art construit au XIXe siècle, le Pont de Godras a prouvé sa solidité en résistant à l’impact de la bombe américaine de 250 kg. Les passants observent stupéfaits le trou dans le tablier. La perspective est orientée vers la haute ville, comme en témoigne l’escalier d’accès visible en haut du cliché (au milieu). Notons également la présence à peine visible du poteau électrique en béton (en haut, à gauche) et celle d’un poteau indicateur signalant là aussi un danger. (Coll. D. Yvetot).
[3] - Secteur de la rue du Chêne-Vert
Photographie de la rue du Chêne-Vert réalisée avant-guerre depuis le promontoire du Calvaire situé près de la Place du Champ de Foire, sur un éperon rocheux dominant la cité. (Éditeur inconnu).
Cliché pris après le bombardement du 14 juin 1944 depuis le même endroit. Maisons disloquées et calcinées, toitures envolées, le secteur est dévasté. (Coll. D. Yvetot).
Place de La Petite Bruyère (surplombant la rue du Chêne-Vert), la demeure visible sur la carte postale ancienne (la maison Mallet, en partie masquée par le timbre et le cachet de la Poste) n’a que peu souffert, seules ses portes et fenêtres ayant été soufflées par la déflagration d’une bombe tombée de l’autre côté des anciens remparts, éventrés par son puissant dégagement d’énergie. C’est comme si Thor – le Dieu du tonnerre au marteau foudroyant – avait manqué son coup... (Coll. D. Yvetot).
Au pied des remparts, en haut de la rue du Chêne-Vert, les murs des habitations n’ont quant à eux pas résisté. (Coll. D. Yvetot).
Quelques mètres plus bas, les habitations ne forment plus qu’un amas informe de pierres et de poutres calcinées, ensevelissant en un rien de temps des vies humaines. Rappelons qu’à cet endroit exactement, cinq membres de la famille Grare furent tués, dont trois enfants âgés de 1, 3 et 7 ans. Demeurant également rue du Chêne-Vert, Melle Paule Duval fut la sixième victime à déplorer. (Coll. D. Yvetot).
Les jeunes domfrontais passant devant le lieu d’un tel drame ne sont pas sans être saisis d’effroi. Ce cliché est à comparer avec celui des mêmes lieux, présenté dans la première partie de cette étude. Le poteau indicateur signalant une zone dangereuse n’a pas encore été installé à l’endroit même où se tient l’adolescent. Après l’avoir longuement observé, l’objet situé derrière les jeunes gens, à leurs pieds, ne correspond pas à une 500 lb GP Bomb AN-M57 américaine non explosée. Juste derrière eux également, la petite maison à la couverture soufflée est visible sur la carte postale. Elle permet de situer l’endroit avec précision. (Coll. D. Yvetot).
Un peu plus bas encore, les bombes ont opéré de telles destructions qu’elles ont créé une large trouée permettant de voir, vers le sud, toute la campagne environnante. (Coll. D. Yvetot).
En se tournant légèrement vers la gauche, on aperçoit à travers les ruines l’aile ouest du pensionnat de l’Ange Gardien. (Coll. D. Yvetot).
Au même endroit, en regardant cette fois vers le nord, on distingue de nouveau la maison Mallet, reconnaissable à ses cheminées, aux arbres qui les masquent en partie ainsi qu’à la forme de sa fenêtre sur le pignon sud. (Coll. L. Letendre).
Regardant vers le sud depuis les jardins surplombant la rue du Chêne-Vert, touchés également par le fracas des bombes, on aperçoit les toits soufflés des maisons dont seules les cheminées subsistent. (Coll. L. Letendre).
À quelques mètres du bas de la rue du Chêne-Vert et de l’intersection avec la rue du Maréchal-Foch, en regardant encore vers le nord, l’endroit est également ruiné. (Coll. L. Tarot).
[4] - Secteur de l’Ange Gardien
Carte postale ancienne du pensionnat de jeunes filles de l’Ange Gardien où logeait et enseignait Sœur Jeanne, vu du sud, côté façade arrière et cour intérieure. (G. Hubert, Éditeur).
Photo d’identité de Sœur Jeanne Dupont (1912-2002) réalisée en 1940. Le Journal qu’elle tint du 1er mai 1944 au 15 août 1945 présente une valeur inestimable pour quiconque s’intéresse à l’histoire de la libération de Domfront. (Coll. D. Yvetot).
Sœur Jeanne Dupont (3ème en partant de la g.), en compagnie des autres sœurs de l’Ange Gardien dont Sœur Albertine (en bas, au c.) et la Directrice du pensionnat (en bas, à dr.). (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de l’aile ouest de la façade arrière de l’Ange Gardien. Une sœur et une habitante de Domfront cheminent tant bien que mal à travers gravats et entonnoirs. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Dans le cratère situé devant la chapelle attenante au pensionnat, au pied de la statue de saint Joseph (décapité), gisait à demi-enseveli dans les décombres et la poussière, le corps ouvert en deux et la face défigurée, Marie Desechalliers, âgée de 59 ans. Choquée, Sœur Jeanne n’osa pas s’approcher. Remarquons les larges fissures sur l’édifice religieux qui, menaçant à tout instant de s’écrouler, sera démoli en 1947. Notons également qu’un panneau de basket semble avoir été utilisé comme poteau indicateur signalant le danger. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de l’aile est de la façade arrière de l’Ange Gardien. Attenant au bâtiment abritant la buanderie du pensionnat, le préau a été soufflé, tout comme les vitraux de la chapelle et certains éléments de sa toiture. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de la façade principale de l’Ange Gardien. La passerelle menant à l’entrée du pensionnat s’est effondrée. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue prise devant devant l’aile est de la façade principale de l’Ange Gardien. Un cratère obstrue le passage vers le réfectoire du pensionnat dont on voit deux des fenêtres au rez-de-chaussée. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Le réfectoire du pensionnat de l’Ange Gardien. (Éditeur inconnu, Photo Giraud).
Vue de la cour nord de l’Ange Gardien. La passerelle menant à l’entrée du pensionnat est effondrée et un sapin, dont toutes les branches ont été soufflées par les déflagrations, s’est couché sur le bûcher de l’établissement. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de la cour de l’externat de l’Ange Gardien (située sur l’aile ouest de la façade principale). La couverture du préau pend lamentablement et, à droite, la buanderie est ravagée. Au premier étage, de face, les persiennes de la salle Sainte-Cécile où Sœur Jeanne enseignait la musique sont fermées, tout un symbole. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
[5] - Secteur de la haute ville
Vue réalisée à la fin des années 1930 de la Place et de la rue Saint-Julien, menant à l’église éponyme. (Tronchet, Éditeur).
Vue de la Place Saint-Julien à l’été 1944, côté nord (la rue Saint-Julien se poursuivant sur la droite, à l’angle du café Milcent, jusqu’à l’église Saint-Julien). Un projectile tombé lors du bombardement du 14 juin sur la maison du marchand de bicyclettes Hamon provoqua un incendie qui se propagea ensuite à trois habitations attenantes, celles de l’huissier Letrou, du quincaillier Paris et du tabac-chaussures Mouton. (Coll. D. Yvetot).
Sur ce cliché réalisé par un photographe de guerre américain le 14 août 1944, le jour même de la libération de Domfront, on se rend compte que ni l’église Saint-Julien, ni les habitations situées à ses pieds rue Saint-Julien n’eurent à souffrir des affres du bombardement du 14 juin 1944. (Coll. U.S. NARA).
Fracassé par une bombe, le café de Marie Jégou (victime du bombardement du 14 juin 1944 au Carrefour du Pissot) s’est effondré dans la rue, laquelle fut rebaptisée après-guerre « rue du 14 juin 1944 » en hommage aux 27 personnes qui perdirent la vie lors de cette funeste soirée. À quelques dizaines de mètres, un certain nombre d’habitations furent également démolies et remplacées après-guerre par l’actuelle Place du Panorama. (Coll. D. Yvetot).
Construit dans la haute ville à quelques dizaines de mètres à l’ouest de l’Hôtel de Ville de Domfront sur l’éperon rocheux dominant le Carrefour du Pissot, le nouveau presbytère fut frappé de plein fouet par une bombe visant ce dernier mais ayant débordé sa cible. Seul le garage et la cuisine demeurèrent debout. Au matin du 15 juin, les Sœurs Jeanne, Albertine et Vitalie, Mme la Directrice du pensionnat de l’Ange Gardien, M. le Curé ainsi que sa bonne, Mme Yvonne, s’y rendirent pour récupérer dans ses décombres quelques effets, des souliers notamment. (G. Hubert, Éditeur).
Sur ce cliché pris par un photographe de guerre américain le 15 août 1944, on voit que si l’Hôtel de Ville de Domfront n’a pas été touché directement par le bombardement du 14 juin 1944, bien des carreaux des fenêtres de son pignon est furent brisés par le souffle des bombes tombées trop court sur les habitations de la rue Clément Bigot, situées à quelques dizaines de mètres seulement. (Coll. U.S. NARA).
La Route de Ronde, actuelle rue de la Porte de Normandie, et le pont menant au château de Domfront. (Tronchet, Éditeur).
La demeure située près de l’ancienne Route de la Ronde a souffert, mais sans doute pas du fait du bombardement du mercredi 14 juin. (Coll. D. Yvetot).
Les mitraillages des jours précédents expliquent peut-être le délabrement de la petite tour de cette habitation. (Coll. D. Yvetot).
[6] - Secteur du Carrefour du Pissot
Agrandissement de la vue aérienne prise par les Américains en août 1944 présentée dans la première partie de cette étude. Elle montre les nombreux cratères de bombes constellant le secteur du Carrefour du Pissot. Tout près de la haute ville, les impacts visibles ont été produits par un chapelet de bombes dont certaines tombèrent trop court et se fracassèrent sur des habitations Place Saint-Julien et rue Clément Bigot. (Coll. IGN, détail).
Photographie réalisée par les forces aériennes américaines en août 1944 des secteurs de la haute ville de Domfront et des champs à l’ouest du Carrefour du Pissot. Bien que le cliché soit de qualité moyenne, l’angle de prise de vue est intéressant car il permet d’apercevoir rues Saint-Julien et Clément Bigot les destructions infligées par les bombes du Box II tombées trop court. À l’extrême-droite du cliché, le presbytère est hors-cadre, seule une partie de l’Hôtel de Ville étant visible. (Coll. U.S. NARA).
Les petites habitations avoisinant le Carrefour du Pissot furent foudroyées. C’est probablement dans la Ruelle des Buttes (une petite chasse descendant depuis la rue de la Poterne, située à côté de l’église Saint-Julien, vers la rue de la Porte de Normandie et le Carrefour du Pissot) qu’Élise Jouin fut tuée à l’âge de 62 ans, sa sœur Victorine, âgée de 71 ans, trouvant la mort au même moment dans la rue d’Enfer. (Éditeur inconnu).
Situés dans l’environnement immédiat de la zone cible du Box II, ces champs sont ceux dans lesquels Marie Jégou périt alors qu’elle trayait ses vaches. Âgée de 71 ans, son corps fut pulvérisé par la pluie de bombes visant le Carrefour du Pissot. Son café ayant été fracassé au même instant par une bombe, il semble que le sort ne lui laissait aucune chance d’échapper à un destin tragique. (Éditeur inconnu).
Médaillon funéraire en porcelaine apposé sur la pierre tombale de Marie Jégou, inhumée au cimetière de La Haute-Chapelle. (Photo L. Letendre).
Avant de refermer ce chapitre consacré au bombardement du mercredi 14 juin 1944 et au souvenir de la tourmente vécue par les Domfrontais ce soir-là, ajoutons que si la tragique erreur de l’avion-leader du Box I ne s’était pas produite, Domfront n’en eût pas été nécessairement épargné. Situés au croisement de deux axes majeurs de circulation (un axe nord/sud, Caen-Laval et l’autre est/ouest, Paris-Bretagne via Alençon), les carrefours de la ville auraient assurément été, tôt ou tard, la cible de l’aviation alliée. Y aurait-il eu moins de morts ou au contraire davantage – nul ne le saura jamais, naturellement. La seule différence entre les deux scénarios est que les habitants auraient pu être prévenus, des avertissements étant lancés aux populations par la voie de tracts les invitant à s’éloigner immédiatement des agglomérations. Mais cela ne fut pas toujours le cas et ces tracts sont parfois tombés à côté des villes, comme à Écouché, Argentan et Vimoutiers, par exemple. Des tracts qui étaient au demeurant d’une telle imprécision – de crainte de mettre en péril la sécurité des opérations, ils ne mentionnaient jamais le nom des villes concernées – que les habitants les ignoraient ou estimaient qu’il ne pouvait s’agir de leur localité.

Jeudi 15 juin 1944

416th Bombardment Group (L)

Mission n° 78
L

a nuit de 14 au 15 juin fut de nouveau très agitée du fait du bruit incessant des formations aériennes survolant la ville. Les foyers d’incendie déclenchés par le bombardement du 14 juin se développèrent encore de manière incontrôlable le 15. Dans la haute ville, le brasier provoqué par l’explosion d’une bombe tombée Place Saint-Julien sur la maison du marchand de cycles Hamon se propagea ainsi à deux immeubles attenants (les habitations de l’huissier Letrou, du quincaillier Paris et du tabac-chaussures Mouton devenant la proie des flammes), tandis que dans la basse-ville un feu violent et destructeur finissait de ravager les maisons situées entre le Grand Carrefour et la rue du Chêne-Vert (le Bazar Doisneau-Belloche brûlant entièrement avec ses annexes, notamment). À 16 heures, de puissantes escadrilles traversèrent le ciel de la cité, laissant craindre un nouveau bombardement du centre-ville. Mais rien ne se passa. Seules quelques attaques de chasseurs-bombardiers se produisirent sur la route d’Alençon et celle de Mayenne.

Sœur Jeanne, qui comme Germaine Renard avait fuit Domfront après le bombardement du 14 pour se réfugier au manoir de la Guyardière, revint le 15 au matin au pensionnat de l’Ange Gardien pour y sauver du pillage et d’éventuels incendies ce qui pouvait l’être. En fin d’après-midi, elle quitta de nouveau Domfront en quête d’un gîte pour la nuit. Aussi ne trouve-t-on dans son Journal, comme dans le récit de Germaine Renard, aucune mention du bombardement qui débuta à 18h19/18h20 exactement le 15 juin 1944 et visa une nouvelle fois le Quartier Notre-Dame. Seul André Rougeyron en fait état, mais de manière lapidaire. « Le 15 écrit-il, vers 18h30, nouvelle attaque de la gare par des bombardiers lourds : l’hôpital est atteint et la maison de Mme Lechippey détruite par le feu, malgré les efforts des pompiers qui passeront la nuit sur place ». Bien qu’offrant un témoignage intéressant sur ce qui se déroula alors, celui-ci demeure toutefois imprécis, voire inexact, comme on va pouvoir s’en rendre compte en procédant à un examen approfondi de cette nouvelle opération lancée sur Domfront par les forces aériennes alliées.

Cet examen se base sur l’étude de documents d’archives militaires conservés par l’Air Force Historical Research Agency et réunis par les soins de Waynes G. Sayles, archiviste du 416th Bomb Group Archive, une association établie à Gainesville (Missouri) dont la mission est d’honorer la mémoire de ceux qui servirent au sein de cette unité. Il s’appuie d’autre part sur le témoignage de l’un des acteurs de ce bombardement, le First Lieutenant Harold Dave Andrews, Jr., 91 ans, dont nous avons retrouvé la trace et qui a accepté de nous faire partager ses souvenirs de la mission qu’il a mené aux commandes de son appareil dans le ciel de la cité médiévale ce jour-là.

***
Dévolue au 416th Bombardment Group (L) par le « Field Order n° 85-375 » du 97th Combat Bombardment Wing relevant du IX Bomber Command de la 9th Air Force, cette mission sur Domfront mobilisa 38 bombardiers légers Douglas A-20 G et J Havoc appartenant aux quatre escadrilles du groupe de bombardement léger occupant la base aérienne AAF-170 de Wethersfield en Angleterre. Sur ces 38 avions, et selon une procédure standard que nous avons présenté précédemment, deux appareils se tenaient en réserve. Décollant avec la formation et l’accompagnant jusqu’à la Manche, ils étaient prêts à remplacer un appareil rencontrant un problème et retournaient à la base si tel n’était pas le cas. Selon l’ordre de mission envoyé au 416th BG daté du 15 juin 1944, classé secret et transmis par l’Operations Officer du 97th CBW, le Major Clarence S. Towles, une couverture devait être fournie à la formation par des chasseurs alliés, mais, la vitesse et les moyens de défense des Havoc pouvant leur permettre de se dispenser d’un appui de la chasse habituellement procuré par des Supermarine Spitfire ou des Republic P-47 Thunderbolt, cette couverture ne fut finalement pas assurée et c’est sans escorte que les bombardiers légers du 416th BG exécutèrent la mission qui leur était confiée. La répartition des avions par escadrille était la suivante :
  • 6 avions du 668th Bombardment Squadron (code de fuselage : 5H)
  • 7 avions du 669th Bombardment Squadron (code de fuselage : 2A)
  • 13 avions du 670th Bombardment Squadron (code de fuselage : F6)
  • 12 avions du 671st Bombardment Squadron (code de fuselage : 5C)
« Operational Priority », « Field Order n° 85-375 » classé secret, daté du 15 juin 1944,
rédigé par le Major Clarence S. Towles Jr., Operations Officer du 97th CBW
et transmis au 416th Bombardment Group (L) du Colonel Harold L. Mace.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Devant tous les membres d’équipage, la mission débuta par un briefing général dirigé par l’officier commandant le 416th Bombardment Group (L), le Colonel Harold L. Mace, assisté du Staff Weather Officer et de l’Intelligence Officer, les deux officiers en charge de la météorologie et du renseignement au sein de l’unité. Dans la salle de briefing, hautement sécurisée, une grande carte de l’Angleterre et du nord de la France était accrochée au mur. Un cordon rouge vif marquait le plan de vol. Sur un tableau noir étaient indiqués l’heure de décollage, les coordonnées de la cible (secteur codé 4801 W/24 à Domfront et référencé 042034 sur la carte utilisée) ainsi que tous les détails de l’attaque. Les bombardiers-navigateurs prenaient des notes. Ses dernières instructions données, le Colonel Mace conclut la réunion en indiquant le « time check » sur lequel toutes les montres furent synchronisées.
Le Colonel Harold L. Mace dans son bureau du Quartier général du 416th Bombardment Group (L) à Wethersfield en 1944. On aperçoit à sa gauche l’insigne du « Group » ainsi que ceux des quatre escadrilles qui le composent. (Coll. F.J. Cachat).
Insignes du 416th Bombardment Group (L) et des quatre escadrilles le composant. La devise du « For Hundred and Sixteenth » est une expression latine de Sénèque : Ignis aurum probat, « le feu éprouve l’or ». Précisons que la citation complète du philosophe romain est la suivante : Ignis aurum probat, miseria fortes uiros, « Le feu éprouve l’or, l’épreuve, l’homme de cœur » (De la providence, 5, 10). (Montage L. Letendre).
Le Colonel Harold L. Mace photographié en 1944 dans le cockpit de son Douglas A-20G Havoc (numéro de série : 43-9701 ; code de fuselage : 5H-H). Notons la présence des six mitrailleuses 12,7 mm Browning M2 de calibre 50 installées dans et sous le nez tôlé du Havoc (« ravage », en fr.) type G qui conféraient à l’appareil des capacités de mitraillage comparables à celle du chasseur Republic P-47 Thunderbolt. (Coll. U.S. Air Force).
Une fois le briefing terminé, transportés en Jeep Wyllis ou en camion, les équipages rejoignirent l’aire de stationnement de leur avion sur la base aérienne, chaque « squadron » ayant son aire réservée. Une fois installés dans leur cockpit, assis sur leur parachute qu’ils inséraient dans leur siège et dès que le signal leur en fut donné par le contrôle aérien, les pilotes démarrèrent leurs deux moteurs Wright Cyclone de 1600 chevaux chacun afin de faire monter l’huile en température et d’atteindre les niveaux de pression exigés. Pendant les cinq minutes que dura ce « warm up », observant scrupuleusement la « check-list », ils contrôlèrent soigneusement tous les instruments de bord et les nombreuses jauges. Embarquant une tonne d’explosifs (ou 1,5 tonne dans certains appareils de la mission) et des milliers de balles de mitrailleuse 12,7 mm de calibre 50, ils gagnèrent ensuite la piste d’envol où, alignés deux par deux, ils occupèrent la place précise qui leur avait été assignée dans la formation : l’avion occupant la position 1 du Flight I du Box I en tête, avec sur sa droite, quelques mètres en retrait, celui occupant la position 2 ; juste derrière lui, celui occupant la position 3 ; et ainsi de suite. La main sur la commande des gaz, les pilotes n’attendaient plus que l’autorisation de décollage de la tour de contrôle pour la pousser à sa puissance maximale et libérer ainsi les 3200 chevaux de leur appareil.
Compartiment du pilote d’un Douglas A-20G Havoc. Puissant avion d’attaque au sol, le A-20G (construit à 2850 exemplaires) pouvait atteindre une vitesse maximale de 546 km/h, ce qui le rendait aussi rapide que les chasseurs de son époque. (Coll. USAF Museum).
Schéma didactique du cockpit du Douglas A-20G Havoc, vu de face. (Coll. U.S. Air Force).
Schéma didactique des instruments de bord situés juste derrière la commande principale de vol. (Coll. U.S. Air Force).
Schéma didactique du « lower electrical panel » où se situent les deux boutons de démarrage des moteurs droit et gauche de l’avion. Le bouton « start » active le starter, puis, 45 secondes plus tard, le bouton « mesh » (« engrènement », en fr.) peut être activé, ce qui lance le moteur. (Coll. U.S. Air Force, marquage L. Letendre).
Cockpit du Douglas A-20G Havoc, vu du côté gauche. (Coll. USAF Museum).
Schéma didactique du cockpit d’un Douglas A-20G Havoc, vu du coté gauche. Poussée à fond, la commande des gaz (« throttle control », en angl.) libère les 3200 chevaux des deux puissants moteurs en étoiles de 14 cylindres Wright Cyclone R-2600-23 fabriqués par la Curtiss-Wright Corporation. (Coll. U.S. Air Force).
Cockpit du Douglas A-20G Havoc, vu du côté droit. (Coll. USAF Museum).
Pilote du 416th BG. Il porte un serre-tête de type AN-H-16 fabriqué par Bradley Goodrich Inc. et des lunettes de vol de type RAF MK VIII. (Coll. F.J. Cachat).
Le siège d’un A-20C dans lequel le pilote insérait son parachute avant de s’asseoir dessus. Quand au cours d’une mission les pilotes avaient vraiment eu peur, raconte le First Lieutenant Andrews, ils disaient – toujours blagueurs – que leur parachute leur était rentré dans le derrière ! Notons que le siège de l’A-20 type C était le même que celui du type G, bien que l’A-20C soit un modèle antérieur du Havoc. (Coll. U.S. Air Force).
27 mai 1944, sur une aire de stationnement de la base aérienne AAF-170 de Wethersfield, un Douglas A-20G Havoc du 416th BG procède à un « warm up ». Ce dernier durait 5 minutes, le temps nécessaire pour faire monter la température de l’huile à 50 degrés Celsius et le niveau de pression d’huile de 40 livre-force par pouce carré (psi ou lb/sq, en unité de mesure anglo-saxonne) à 85, en augmentant progressivement les tours par minute (tr/min ou rpm) des moteurs. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Base aérienne AAF-170 de Wethersfield en Angleterre en 1944. Remarquons sur le « taxiway » le double alignement des Havoc se préparant à rejoindre l’une des deux pistes d’envol. (Coll. Royal Ordinance Survey, montage L. Letendre).
L’aire de stationnement des 668th et 671st Bombardment Squadrons sur la base AAF-170 de Wethersfield. « Park wood », l’aire de bivouac du 668th BS, est situé en haut, à droite. (Coll. U.S. NARA).
Tour de contrôle de la base aérienne AAF-170 de Wethersfield. (Coll. F.J Cachat).
L’avion du leader de la formation, le Major William J. Meng, décolla en premier, à 16h34 exactement. À raison d’un décollage toutes les 15 secondes (15 secondes entre les avions décollant alternativement des deux lignes d’envol, 30 secondes entre les avions d’une même ligne), la formation entière composée de deux « boxes » fut en vol en 10 minutes, chaque « box » mettant environ 5 minutes à décoller. Les premiers avions ralentissant leur vitesse pour attendre les derniers, les appareils se mirent rapidement en formation de combat. Leur position exacte dans chaque « box » nous est connue grâce à la liste qu’en dresse le rapport officiel suivant.
« Loading List », 416th Bombardment Group (L), Box I
mission n° 78 (soirée du jeudi 15 juin 1944) Domfront
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« Loading List », Box II
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Le Box I était commandé par le Major Meng lui-même, assisté de son adjoint le First Lieutenant John P. Hillerman ; le Box II, par le Captain David A. Hulse, assisté par le Second Lieutenant Leonard R. McBride. Chaque « box » se composant de 3 « flights » regroupant chacun 6 avions, plus un avion de réserve par « box », ce sont donc 38 appareils (dont 32 A-20G et 6 A-20J) qui se lancèrent dans cette opération, la 78ème mission du 416th Bombardment Group (L) depuis sa création le 25 janvier 1943 et son activation le 3 février de la même année à Will Rogers Field, à Oklahoma City (Oklahoma). Dans le rapport opérationnel de la mission (que nous présenterons par la suite), leur objectif est défini comme étant un dépôt de munitions (« ammunition dump », en angl.) à Domfront. Mais selon le 1st Lt. Andrews, il s’agit là d’une erreur ou d’un oubli puisque la cible était aussi – et même prioritairement – un dépôt de carburant. C’est du reste ce qu’atteste le Journal de guerre du 671st Bomb Squadron, lequel note à la date du 15 juin 1944 « This time the target was a fuel and ammunition dump some ways beyong the front line and not very far west of Paris » (« cette fois, la cible fut un dépôt de carburant et de munitions quelque part derrière la ligne de front et pas très éloigné de l’ouest de Paris ») et conclut « The fuel dump was left in flames and all of the planes returned to the base intact » (« le dépôt de carburant a été laissé en flammes et tous les avions revinrent à la base intacts »).
William J. Meng, leader de la formation mobilisée lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 à Domfront, photographié devant le nez en plexiglas d’un Douglas A-20J Havoc tout début 1944, alors qu’il n’était encore que Captain. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20J (43-9439, F6-J) appartenant au 670th BS utilisé par l’équipage du Major W. J. Meng lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 (Box I, Flight I, position 1). Notons que les bombes présentes sur le tarmac de l’aire de stationnement de l’appareil sur la base AAF-170 de Wethersfield – des 500 lb GP Bomb AN-M64 – sont du type de celles larguées lors du bombardement de Domfront. (Coll. F.J. Cachat).
Vue du nez en plexiglas de l’A-20J (43-9439, F6-J) piloté par le Maj. W. J. Meng lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. C’est depuis ce poste que le 1st Lt. Vernon H. Powell, bombardier-navigateur, déclencha le bombardement du secteur visé à Domfront à 18h19-18h20. Baptisé « Out Hell’n » (« D’enfer », en fr.), le « ’n » forme-t-il le nom propre « Hell(e) ’n », le prénom de la « pin-up » d’enfer représentée par le « nose art » peint sur le cockpit de l’appareil ? (Coll. F.J. Cachat).
Le 1st Lt. John Parker Hillerman, adjoint du Major Meng (Box I, Flight I, position 2), pose devant le « Betty Bear » sur son aire de stationnement de la base aérienne de Wethersfield. S’agit-il de l’A-20G 43-9680 codé F6-R utilisé par notre pilote lors de la mission n° 78 ? (Photo G. Hillerman-Johnston, montage L. Letendre).
En présence des mécaniciens affectés à l’avion, un équipage de l’A-20J 43-9450, 2A-S (piloté le 15 juin 1944 par le Cpt. Meredith J. Huff, Box II, Flight II, position 1) inspecte l’appareil sur son aire de stationnement de la base de Wethersfield avant une nouvelle mission de bombardement. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G (43-9393, 5C-K) du 1st Lt. Richard E. Greenley (Box I, Flight III, position 4) en phase de roulage sur le « taxiway » de la base aérienne de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat).
38 appareils décollèrent en moins de 10 minutes de la base de AAF-170 de Wethersfield. Visible au centre de cette photographie en phase de roulage, l’A-20G du 670th Bombardment Squadron (43-9387 ; F6-H) prit part à la mission n° 78, piloté par le 1st Lt. Charles L. McGlohn (Box I, Flight I, position 6). (Coll. F.J. Cachat).
Au centre du cliché, rejoignant la piste d’envol de la base aérienne de Wethersfield, l’A-20G 43-9717 (2A-N) du 1st Lt. Earl L. Hayter occupait la position 3 du Flight II du Box II lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Visible à gauche du cliché en phase de roulage sur la piste de la base aérienne de Wethersfield, l’A-20G 43-10165 (5C-H) du 1st Lt. Michael Zubon occupait la position 2 du Flight III du Box I lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Portrait de Harold Dave Andrews, Jr. (alors Second Lieutenant) réalisé le 25 mars 1943 à Columbus (Minnesota) le jour de la cérémonie de remise de son brevet de pilote de l’U.S. Air Force. (Coll. L. Letendre).
Vue du poste de pilotage de l’A-20G (43-9363, 5C-L) occupé par le 1st Lt. Harold Dave Andrews, Jr. lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 (Box I, Flight II, position 5). (Présent sur ce cliché, le 1st Lt. James D. Adams ne participa pas à cette mission). (Coll. J.D. Adams).
L’A-20G (43-9363, 5C-L) du 1st Lt. Harold Dave Andrews, Jr. décollant de la base aérienne de Wethersfield. (416th Bomb Group Archive).
Portrait de Harold Dave Andrews, Jr. (alors Second Lieutenant) réalisé à Ocala (Floride) en juillet ou en août 1943 lors d’une permission de cinq jours passée en compagnie de Jacquelyn, sa future femme. Autorisé à s’éloigner de 50 miles seulement de la base d’Oklahoma City, Dave désobéit et n’hésita pas à faire les 1180 miles qui le séparait de « Jackie » afin de la rencontrer pour la seconde fois. Que ne ferait-on pas par amour ! (Coll. L. Letendre).
Photographie prise le 11 juillet 1944 après la remise d’une « Air medal » par le Colonel Mace. De g. à dr. : Capt. Hulse (670th), 1st Lt. DeMun (669th), 1st Lt. Siggs (669th), Maj. Meng (670th), 1st Lt. Behlmer (669th), Capt. Jackson (670th), 1st Lt. Maltby (670th). Seuls quatre aviateurs étaient présents lors de la mission n° 78 : le Captain David A. Hulse (pilote, Box II, Flight I, position 1), le Captain Ronald C. Jackson, pilote, et son bombardier-navigateur le 1st Lt. Alfred H. Maltby (Box I, Flight II, position 1), et le leader de la formation, le Major William J. Meng (pilote, Box I, Flight I, position 1). (Coll. F.J. Cachat).
Adjoint du leader du Box II, le 2nd Lt. Leonard R. McBride, pilote du A-20G 43-9224 (F6-E) appartenant au 670th BS, occupait la position 2 du Flight I du Box II. Promu 1st Lt. le 30 juin 1944, il accomplit son « tour » de 65 missions et rentra aux U.S.A le 28 décembre 1944. Il fut décoré de la Distinguished Flying Cross en mai 1945 et décéda le 9 septembre 2009, à l’âge de 90 ans et huit mois. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Le 1st Lt. Robert W. York (au centre), pilote de l’A-20G 43-10214 (5C-C) appartenant au 671st BS, occupait avec le Staff Sergeant Lewis A. Ashton, mitrailleur arrière (à gauche), la position 5 du Flight III du Box I lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. Le S/Sgt Harley Wilds (à droite) ne prit pas part à cette mission, la fonction de mitrailleur de tourelle étant alors assurée par le S/Sgt Victor P. Adams. Robert W. York mourut au combat aux commandes de son A-20G touché par la Flak le 29 septembre 1944 au cours de la mission n° 149 du 416th BG, lors du bombardement de la gare ferroviaire de Julïch, à l’est d’Aix-la-Chapelle en Allemagne, tandis que Lewis A. Ashton parvint à sauter en parachute et fut fait prisonnier. (Coll. F.J. Cachat).
Faisant état des conditions météorologiques rencontrées lors de la mission, un rapport établi par le 1st Lt. Walter D. Castle, l’officier en charge des questions météorologiques au sein du 416th BG, indique que des cumulus étaient présents au-dessus de la base aérienne de Wethersfield à l’heure du décollage, à 3500 pieds d’altitude (couverture nuageuse de 6 à 7 sur 10), et que la visibilité était de 9 miles. Il précise que cette couverture nuageuse a diminué sur le sud de l’Angleterre et au-dessus de la Manche (4 à 5 sur 10) et que la visibilité y était alors de 8 à 10 miles.
Rapport météorologique établi par le 1st Lt. Walter D. Castle
Staff Weather Officer du 416th BG
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Rédigé après la mission, ce rapport du Staff Weather Officer permet de comparer les données météorologiques rencontrées durant l’opération avec celles prévues avant la mission et de se rendre compte que la couverture nuageuse et la visibilité furent respectivement sous et sur-estimées. Les prévisions météorologiques communiquées aux équipages lors du briefing final étaient consignées dans le rapport suivant intitulé « Operational Route Forecast ».
Rapport consignant les prévisions météorologiques sur le trajet opérationnel
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Une fois en formation de combat et sans escorte, les bombardiers légers suivirent une route passant par Gravesend (dans le nord-ouest du Kent) et Brighton (dans l’East Sussex) où ils franchirent les côtes anglaises à 17h19 exactement, puis débutèrent leur survol de la Manche à très basse altitude pour échapper aux moyens de détection ennemis. Aucun avion n’ayant rencontré de problème, les deux appareils de réserve revinrent se poser à la base de Wethersfield : celui du 1st Lt. Hilary P. Cole (Box I) à 17h46 et celui du 1st Lt. Patrick F.E. MacManus (Box II) à 17h47.
Disposition tactique de la 9th Air Force le 6 juin 1944 (carte originale). (Coll. AFHRA).
Disposition tactique de la 9th Air Force le 6 juin 1944 et trajet suivi par les éléments du 416th Bomb Group (L) depuis la base aérienne AAF-170 de Wethersfield jusqu’aux côtes anglaises. (Retranscription de la carte originale, F.J. Kane ; marquage du trajet, L. Letendre).
« Spare » du Box I, le 1st Lt. Hilary P. Cole revint se poser à la base aérienne de Wethersfield à 17h46. (Coll. Wayne E. Downing).
Parqué sur la base aérienne de Wethersfield, l’A-20G 43-9711 (5C-M) « Moanin’ Gus », « spare » du Box I piloté par le 1st Lt. Hilary P. Cole. (Coll. F.J. Cachat).
À l’extrême gauche figure le 1st Lt. Patrick F.E. MacManus (« spare » du Box II) dont l’avion revint se poser à la base de Wethersfield à 17h47. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
« Operational Priority Report » préparé par le Major John G. Napier (Commanding Officer du 668th BS), rédigé par le 1st Lieutenant John M. Bonura (officier du « Group Headquarter » du 416th BG) et adressé au 97th Combat Bombardment Wing ainsi qu’au IX Bomber Command, où sont notamment consignées la répartition par « squadron » des appareils dans les deux « boxes », l’identité des « leader » et de leurs adjoints (« deputy », en angl.), et l’heure à laquelle la formation survola Brighton à l’aller (17h19) et au retour (19h08).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Parvenue sur le continent, la formation de bombardiers regagna son altitude de croisière, avec une présence de cumulus entre 4000 et 5500 pieds d’altitude et une couverture nuageuse de 2 à 3 sur 10. Elle subit des tirs de batteries anti-aériennes allemandes 8 miles à l’est de Caen (soit environ 13 km), mais ces derniers furent inefficaces et n’occasionnèrent que des dégâts mineurs sur l’un des appareils. À environ 25 km de Domfront, les mitrailleurs arrières de trois appareils de la formation, dont celui de l’avion du 1st Lt. Andrews, commencèrent à larguer des « windows » par l’ouverture créée dans le bas du fuselage du Havoc pour y installer la Browning M2 de calibre 50. Ces bandes d’aluminium de 30 cm de long et de 1,5 cm de large (appelées conventionnellement windows, « fenêtres » en fr.) étaient une contre-mesure destinée à brouiller les moyens de défense anti-aérienne allemands guidés par des radars. Assemblées en botte de 2000 maintenue par un élastique, ces bandes d’aluminium se déliaient quand elles étaient larguées et, mettant 15 minutes à se disperser, formaient un nuage de bandelettes qui donnait sur l’écran-radar un écho semblable à celui d’un avion. En lâchant ces bottes toutes les minutes, il était possible de saturer la zone par des échos si nombreux que tout repérage devenait impossible, les tirs de la DCA perdant de ce fait toute efficacité.
Un « flight » de Douglas A-20 Havoc du 416th BG survolant la France avant le débarquement en Normandie. (Coll. F.J. Cachat).
Élément d’un « flight » du 416th BG où figure l’A-20G 43-9390 (2A-G) qui occupait la position 2 du Flight II du Box II lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G 43-9189 (2A-P) piloté par le 1st Lt. Jack F. Smith, occupait la position 5 du Flight II du Box II lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Film réalisé en avril ou mai 1944 d’un « flight » de six Douglas A-20G Havoc du 416th BG. Les avions volent en formation en V à des altitudes décalées. (Coll. U.S. Air Force).
Après environ 1 heure et 40 minutes de vol, sans avoir rencontré d’avion ennemi sur le trajet, la formation arriva au-dessus de Domfront où régnait, à 4000 pieds d’altitude, une très faible couverture nuageuse (1 sur 10) et une visibilité de 8 miles. Les premiers appareils larguèrent leurs bombes à 18h19-18h20 exactement, sans être gênés par les conditions météorologiques (« weather did not affect bombing » précise le rapport du Staff Weather Officer W. D. Castle), ni inquiétés par la défense anti-aérienne allemande (les « windows » ayant pleinement joué leur rôle). 172 bombes de 250 kg étaient embarquées dans les appareils, chaque avion en transportant quatre, à l’exception de 11 A-20G et de 3 A-20J qui en transportaient chacun six, deux bombes supplémentaires étant accrochées sous les ailes, ce qui n’allait pas sans provoquer une perte de vitesse et de manœuvrabilité de ces appareils. 142 bombes devaient être larguées par les A-20G et 30 par les A-20J. Toutefois, sur les 172 prévus initialement, seuls 163 projectiles furent déversés sur la zone cible. Les problèmes techniques ayant affecté le largage des bombes lors de cette mission et les raisons de ces dysfonctionnements firent l’objet du compte-rendu rédigé à la main par le Captain William A. McDonald, l’officier de maintenance du 670th Bombardment Squadron.
« Aircraft Malfunction Report »
établi par le Captain William A. McDonald
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Examinons attentivement ce rapport :

 Quatre bombes de l’A-20G (43-9493, 5C-V) du 1st Lt. Robert H. Smith (Box I, Flight III, position 3) tombèrent lorsque les portes de la soute à bombes s’ouvrirent, le relais électrique de largage faisant contact à cause des vibrations et d’un ajustement insuffisant de l’interrupteur (« Release relay making contact due to vibration and insufficient clearance of breaker points »).

 L’A-20G (43-9393, 5C-K) du 1st Lt. Richard E. Greenley (Box I, Flight III, position 4) revint à la base avec une bombe, la boucle du câble auquel l’engin explosif était suspendu provoquant une déconnexion dans le circuit de largage en se coinçant dans le relais électrique qui commande le crochet du porte-bombe (« Arming wire loop caught in arming wire retainer holding breaker points apart, leaving an opening in release circuit »).

 Une bombe de l’A-20G (43-9224, F6-E) baptisé « Miss Laid » du 1st Lt. Leonard R. McBride (Box II, Flight I, position 2) ne fut pas larguée à cause d’un mécanisme défaillant, un solénoïde de largage ayant brûlé (« Release solenoid burn out »).

 L’A-20G (43-9717, 5C-N) du 1st Lt. Earl L. Hayter (Box II, Flight II, position 3) revint à la base avec une bombe, le mécanisme de largage défaillant causant une sortie retardée (« Faulty release mechanism causing a delayed released »).

 L’A-20G (43-9189, 2A-P1) « Greetings from Winsome Winnie » du 1st Lt. Jack F. Smith (Box II, Flight II, position 5) revint à la base avec une bombe, un solénoïde de largage ayant également brûlé, mais la cause du dysfonctionnement était encore indéterminée lorsque le rapport fut rédigé (« Release solenoid burn out. Complete cause yet undetermined »).

 L’A-20G (43-9961, 2A-E1) du 1st Lt. Hiram B. Clark (Box II, Flight II, position 6) revint à la base avec une bombe, une connexion électrique ayant été mal installée (« Cannon plug improperly installed »).
Schéma didactique d’une 500 lb General Purpose bomb AN-M64 américaine. L’engin était suspendu par un câble dont la boucle était accrochée au porte-bombe, lequel était commandé électriquement par un bouton actionné par le pilote. (Coll. Harrington Aviation Museum Society).
Photographie d’un porte-bombe (« bomb rack », en angl.) installé dans la soute à bombes du Douglas A-20 Havoc. Remarquons le crochet auquel était suspendu la boucle du câble fixé sur la bombe. Lorsque le pilote actionnait la commande électrique de largage, ce crochet (légèrement incliné) se renversait, libérant le projectile. (Coll. 410th Bomb Group Association).
L’équipage du A-20G « Sugar Baby » (43-9745, 5H-I) assis sur une bombe de type 500 lb GP Bomb AN-M64. Le 2nd Lt. Robert D. Lesher (pilote, au centre), le S/Sgt Harold R. Hedrick (mitrailleur arrière, à gauche) et le S/Sgt Adolfos J. Antanaitis (mitrailleur de tourelle) participèrent avec cet appareil à la mission n° 78 du 15 juin 1944 (Box II, Flight III, position 4). (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G (43-9224, F6-E) baptisé « Miss Laid », piloté par le 1st Lt. Leonard R. McBride et occupant la position 2 du Flight I du Box II, revint se poser à la base aérienne de Wethersfield avec une bombe, un solénoïde de largage ayant brûlé. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G (43-9189, 2A-P) « Greetings from Winsome Winnie » piloté par le 1st Lt. Jack F. Smith (Flight II, Box II, position 5) revint se poser à la base avec une bombe, un solénoïde de largage ayant également brûlé. (Coll. F.J. Cachat).
Le 1st Lt. Hiram B. Clark, pilote au sein du 669th BS. Son appareil revint se poser à la base de Wethersfield avec l’une des cinq bombes non larguées au cours de la mission n° 78. Il se tua au décollage le 2 février 1945 aux commandes d’un Douglas A-26 Invader, le successeur du A-20 Havoc qui commença à équiper le 416th BG à partir de la mi-septembre 1944. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Ce furent ainsi 40 750 kg d’explosifs – au lieu des 43 000 prévus – qui furent déversés sur la zone cible au cours de la mission n° 78. Le point A du rapport opérationnel (« Operational Report » en angl., abrégé « Oprep ») rédigé le 16 juin par le Captain George Schenkein (Adjutant du 416th BG), établit « flight » par « flight » pour chacun des deux « boxes » le nombre de projectiles largués et évalue le résultat de chaque bombardement.
« Operational Report »
416th Bombardment Group (L)
mission n° 78
(soirée du jeudi 15 juin 1944)
Domfront
(page 1)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« Operational Report »
(page 2)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Traduisons dans son intégralité le point A de ce rapport opérationnel.

« La formation était composée de 2 boxes de 18 avions chacun, bombardant par flight de six. La formation décolla de sa base à 16h34. Heure sur la cible : 18h19-18h20. Le flight 1 du box 1 largua à 2500 pieds un total de 26 bombes sur la zone cible avec d’excellents résultats. Le flight 2 du box 1 largua à 2500 pieds un total de 30 bombes sur la zone cible avec de bons résultats. Le flight 3 du box 1 largua à 2500 pieds un total de 25 bombes sur la zone cible avec d’excellents résultats. Le flight 1 du box 2 largua à 3000 pieds un total de 27 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. Le flight 2 du box 2 largua à 3000 pieds un total de 25 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. Le flight 3 du box 2 largua à 2500 pieds un total de 32 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. La visibilité était de 8 miles avec une couverture nuageuse de 1 sur 10. Le tir anti-aérien a été très imprécis 8 miles à l’est de Caen. Un appareil recevant des dommages de catégorie A. Aucun tir anti-aérien subi au-dessus de la zone cible. Aucun avion rencontré. Les avions atterrirent à la base à 20h01 ».
Vue du côté droit du cockpit d’un A-20C Havoc. Entourés, les boutons commandant (en mode individuel ou non) le largage des bombes ainsi que ceux commandant le largage d’urgence (« emergency release »), lorsqu’il fallait se délester du poids des bombes pour affronter de rapides chasseurs ennemis notamment. Fléché, le bouton poussoir déclenchant le largage des projectiles. (Coll. U.S. Air Force, marquage L. Letendre).
Vue de l’intérieur d’une soute à bombes d’un A-20 Havoc. Remarquons la plaque fixée à l’intérieur de la soute portant la mention « front ». La bipartition de la soute (« front » et « rear ») permettait un largage individuel des bombes situées à l’avant et à l’arrière. (Notons que les 250 lb GP Bomb AN-M57 visibles sur ce cliché ne furent pas utilisées lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944). (Coll. U.S. Air Force).
Un « flight » de six Douglas A-20J et G Havoc du 416th Bombardment Group larguant ses bombes 500 lb GP Bomb AN-M64. (Coll. C. Sgamboti).
Le même « flight » un instant plus tard. Pour déverser ses bombes, le pilote avait la possibilité d’opter soit pour un largage complet, soit pour un largage individuel (« individual release »), les bombes chargées à l’avant de la soute pouvant être larguées indépendamment de celles chargées à l’arrière. Une fois actionné le(s) bouton(s) voulu(s), le pilote n’avait plus qu’à exercer une simple pression sur un bouton poussoir situé sur l’arrière-droit du manche pour déclencher le largage selon le mode choisi. (Coll. C. Sgamboti).
Bombe américaine de type 500 lb GP Bomb AN-M64 découverte le 19 juin 2014 sur le chantier de la résidence du Val Fleury, à une encablure de l’ancienne gare de Domfront. C’est la troisième retrouvée depuis le début des travaux. Le centre de déminage de Caen est intervenu pour la désamorcer. (Photo Le Publicateur Libre).
Un autre rapport concernant les bombardements de la mission n° 78 du 15 juin à Domfront, plus détaillé encore et donc plus instructif, a également été établi et transmis au IX Bomber Command. Présenté en Annexe A de l’« Operational Report », ce rapport se décline en six volets, un pour chacun des trois « flights » des deux « boxes ».
« Bombing Information Report »
Box I, Flight I
(26 bombes, mention « excellent »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« Bombing Information Report »
Box I, Flight II
(30 bombes, mention « bon »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« Bombing Information Report »
Box I, Flight III
(25 bombes, mention « excellent »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« Bombing Information Report »
Box II, Flight I
(27 bombes, mention « correct »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« Bombing Information Report »
Box II, Flight II
(25 bombes, mention « correct »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« Bombing Information Report »
Box II, Flight III
(32 bombes, mention « correct »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Outre la date de la mission, le groupe de bombardement mobilisé et la cible attaquée (présentée de nouveau comme étant seulement un dépôt de munitions à Domfront !), ce rapport indique tout d’abord :

  • 1/ la méthode de visée employée (le viseur D.8 ayant été utilisé avec des données prédéfinies correctement enregistrées) ;
  • 2/ l’approche de la cible suivie par les bombardiers, mentionnée en degré magnétique. (Venant du nord-ouest et passant à l’est de Mortain, la formation amorça un virage à gauche au-dessus de Saint-Georges-de-Rouelley, et, au sud-est de Saint-Gilles-des-Marais, mit le cap plein nord en direction du Quartier Notre-Dame qu’elle atteignit venant du sud, soleil dans le dos, protection supplémentaire pour aborder la cible dans de meilleures conditions et surprendre d’éventuels artilleurs de DCA, tout éblouis).

    Ce rapport précise également :

  • 3/ si le système de visée utilisant le mercure comme gyrostabilisateur (pour corriger l’inclinaison des avions) a été utilisé (ce qui ne fut pas le cas) ;
  • 4/ si les avions du « flight » ont bien suivi le bombardier-navigateur lorsque ce dernier a déclenché le bombardement ; si les données prédéfinies sur le viseur D-8 ont été utilisées et si le point principal d’impact a bien été la zone cible (ce qui fut le cas à chaque fois).

    Il présente en outre :

  • 5/ le nom et le grade du pilote leader du « flight » ;
  • 6/ le nom et le grade de son bombardier-navigateur.

    Il signale aussi :

  • 7/ qu’aucun intervallomètre (servant à programmer des déclenchements photo à fréquence régulière) n’a été utilisé.

    Il fournit des informations :

  • 8/ sur la vitesse du vent en altitude et au sol (en miles par heure) et sur l’altitude de largage des bombes (en pieds) ;
  • 9/ sur le temps en seconde que dura le bombardement ;
  • 10/ sur le nombre et le type de bombes chargées par appareil et leur vitesse de chute (un astérisque renvoyant vers une note en bas de page précisant le nombre d’avions embarquant six bombes au lieu des quatre usuelles) ;
  • 11/ sur le nombre exact de bombes larguées par le « flight ».

    Il permet de savoir :

  • 12/ a) que les conditions météorologiques ou la visibilité n’ont pas affecté l’identification de la cible et son bombardement ;
  • b) qu’aucune autre difficulté n’a été rencontrée ;
  • c) que la défense anti-aérienne ennemie n’a pas gêné le bombardement ;
  • d) qu’aucun appareil ennemi non plus.

    Il demande enfin :

  • e) que soit exposées toutes les difficultés rencontrées lors du bombardement. (Réponse : il n’y en eut aucune, « none » en angl.) ;
  • f) que soit mentionnés les dysfonctionnements, les erreurs du personnel ou tout autre facteur ayant affecté le bombardement. (Réponse : « none », étonnamment d’ailleurs puisque nous venons de présenter un rapport faisant état des problèmes techniques – sans doute jugés trop peu importants pour être relevés – qui ont tout de même bien été rencontrés lors de la mission) ;
  • g) que soit évalué le résultat du bombardement en précisant si la cible visée fut la bonne (ce qui fut le cas à chaque fois) et en classant le résultat du bombardement de chaque « flight » par catégorie : de « mauvais/manqué » (« Bad/Miss », en angl.) à « bon » (« Good »), la mention « Excellent », qui n’existait pas dans le préimprimé, ayant été ajoutée à deux reprises à la machine à écrire (pour le Flight I et et le Flight II du Box I).

Des clichés de ce bombardement du 15 juin 1944 ont été réalisés grâce à des appareils photographiques embarqués à bord des avions. Certains de ces appareils – des Kodak K-20 portatifs – étaient transportés par les membres d’équipage eux-mêmes, tandis que d’autres – des Kodak K-21 automatiques – étaient montés en position fixe dans l’avion et se déclenchaient dès l’ouverture des portes des soutes à bombes.
Sur la base aérienne de Wethersfield, deux membres d’équipage de l’A-20J 43-9444, 5H-J (qui ne participa pas à la mission n° 78 du 15 juin 1944) se préparent pour une mission de bombardement. Outre les bottes de vol de type A-6 dont sont équipés les aviateurs, remarquons le Kodak K-20 portatif posé au sol. (Coll. F.J. Cachat).
À gauche, un appareil photographique portatif Kodak K-20 ; à droite, un K-21. Lors de la mission n° 78, trois K-20 ont été embarqués par les membres d’équipage, tandis que cinq avions étaient dotés du K-21. (Montage L. Letendre).
Vue du dessous d’un A-20 Havoc où l’on distingue : a) quatre AN-M64 500 lb dans la soute à bombes ; b) un porte-bombe supplémentaire sous une des ailes de l’appareil ; c) l’ouverture dans la partie basse du fuselage où est montée la Browning M2 12,7 mm de calibre 50 du mitrailleur arrière (cette ouverture pouvant également être utilisée par ce dernier pour prendre des photographies avec son appareil portatif K-20 ou larguer des « windows ») ; d) l’emplacement du K-21 automatique monté dans l’avion. (Coll. 410th Bomb Group Association, marquage L. Letendre).
Aerial Photo Officer, le Captain Francis J. Cachat dirigeait le « Photographic Services Group » du 416th BG. (Coll. F.J. Cachat).
Le mobile home du « Photographic Services Group » du 416th BG installé sur la base aérienne AAF-170 de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat).
Aux côtés du Captain Francis J. Cachat (à gauche), le Captain Clayton W. Zesiger, interprète-photo du « Photographic Services Group » du 416th BG, procède à l’examen minutieux d’un cliché pris au cours d’une mission de bombardement. (De g. à dr. : Captains Cachat, Zesiger, Lytle et Lieutenant Koch). (Coll. F.J. Cachat).
Photographie aérienne datée du 15 juin 1944 prise depuis l’un des Havoc par un K-21. Notons que le cercle tracé au crayon l’a sans douté été par l’un des officiers du « Photographic Services Group » du 416th BG chargés d’interpréter les clichés et d’évaluer le résultat des bombardements. Ce cercle entoure un des cratères causés par les 1000 lb GP Bomb AN-M65 larguées les jours précédents par les P-47 Thunderbolt sur les installations ferroviaires (des projectiles de 500 kg, les plus lourds déversés sur Domfront). Dans l’angle du cliché (en haut, à droite), remarquons également le nez d’un A-20G équipé de ses six mitrailleuses 12,7 mm Browning M2 de calibre 50. (Coll. AFHRA).
Seconde photographie aérienne prise depuis le même « flight » une fraction de seconde plus tard. (Coll. F.J. Cachat).
Troisième photographie aérienne prise quasiment simultanément où sont visibles deux avions appartenant au Flight III du Box I. Nous avons déjà présenté cette photographie dans la première partie de cette étude et identifié l’avion présent à droite du cliché. Il s’agit de celui 2nd Lt. James R. Miller (pilote), du Sergeant Robert G. Schrom (mitrailleur arrière) et du Sergeant Julius Galender (mitrailleur de tourelle). Baptisé « Uncle Bob », il occupait la position 6 dans le « flight ». (Coll. U.S. NARA).
Photographie prise le 16 août 1944 de l’A-20G « Uncle Bob » (43-9951, 5C-P) piloté par le 2nd Lt. James R. Miller, originaire du Tennessee, lors de la mission n° 78. (Posant sur ce cliché, les 1st Lts. William A. Merchant et Francis W. Demand ne prirent pas part à cette mission). (Coll. F.J. Cachat).
« Uncle Bob » en phase de roulage sur l’une des deux pistes d’envol de la base aérienne de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat, montage L. Letendre).
Réexaminons la troisième photographie aérienne. Bien qu’aucun marquage ne soit lisible sur l’appareil présent à gauche du cliché, nous pouvons néanmoins déduire de la position attribuée à chaque avion dans le Flight III du Box I qu’il s’agit de l’A-20G (43-9393, 5C-K) du 1st Lt. Richard E. Greenley (pilote), du Staff Sergeant Howard C. Worden (mitrailleur arrière) et du Staff Sergeant Joseph J. Rzepka (mitrailleur de tourelle) – cet appareil occupant la position 4, juste derrière l’avion-leader piloté par le Captain Lloyd F. Dunn et sur l’aile droite de l’appareil du 1st Lt. J. R. Miller.
Schéma de la position occupée par chacun des six avions composant le Flight III du Box I lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Diagramme et montage L. Letendre).
Quatrième photographie aérienne prise quelques secondes plus tard. L’avion du 1st Lt. Greenley survole à présent la côte de La Raterie où l’on peut apercevoir un certain nombre de cratères de bombes. Son aile gauche masque l’église Notre-Dame-sur-l’Eau et une partie de l’hôpital de Domfront. Pour ne pas déformer les lignes de l’avion, nous présentons ce cliché – publié en double-page – tel que nous l’avons scanné dans l’ouvrage de Rémy Desquesnes : Normandie 1944 (Rennes, Éditions Ouest-France, 1993, p. 220-221). (Coll. War Imperial Museum).
Suivant la même logique, nous pouvons également supposer que les troisième et quatrième photographies aériennes ont été réalisées depuis l’A-20G 43-9493 (5C-V) du 1st Lt. Robert H. Smith, occupant la position 3 dans le « flight ». Le rapport ci-dessous consigne pour chaque avion l’heure de décollage (« aircraft take off » en angl, abrégé « ATO ») et d’atterrissage (« landing time ») ; son « squadron » d’origine (abrégé « SQD » – les lettres correspondant aux différents escadrilles : « A » pour 668th BS, « B » pour 669th BS, « C » pour 670th BS et « D » pour 671st BS) ; la dernière lettre de code de son fuselage (« aircraft letter », abrégé « A/C LTR ») et les trois dernières lettres de son numéro de série (abrégé « A/C NO »). Ce rapport manuscrit précise en outre quels étaient les avions équipés d’appareils photographiques, distinguant avec soin les appareils photographiques portatifs (« hand camera », abrégé « HC ») de ceux montés dans le bas du fuselage arrière de l’avion (« camera », abrégé « C »).
Rapport manuscrit rédigé par un officier inconnu (et peut-être inattentif) enregistrant l’heure de décollage et d’atterrissage de chaque avion du Box I, l’identité de son escadrille, son code de fuselage, son numéro de série et la présence d’un équipement photographique embarqué.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Rapport manuscrit consignant les mêmes informations concernant le Box II.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Si notre supposition est correcte, dans le rapport concernant le Box I, s’agissant de l’avion 43-9493 (5C-V) du 671st BS piloté par le 1st Lt. R.H. Smith, nous devrions lire la mention C ou HC inscrite dans l’entrée du tableau intitulée « camera ». Or ce n’est pas le cas. Cela falsifie-t-il notre hypothèse ? Non, pas nécessairement. Ce même rapport laisse en effet apparaître que dans le Flight III du Box I, seul l’équipage de l’avion du 1st Lt. Miller – présent lui-même sur le troisième cliché – possédait un équipement photographique, en l’occurrence un appareil portatif (« HC »). Il y a donc ici une anomalie. Un autre avion du Flight III devait nécessairement posséder un équipement photographique. Par qui sinon ce troisième cliché aurait-il été pris ?

Un examen attentif de notre rapport et de la « Loading List » de la mission n° 78 peut permettre de résoudre cette énigme. On constate en effet que, lors de la mission, un autre aviateur dénommé lui aussi Smith était également présent : le 1st Lt. Jack F. Smith, pilotant l’A-20G 43-9189 (2A-P) et occupant la position 5 du Flight II du Box II. Or, dans notre rapport, l’entrée « J.F. Smith » est justement accompagnée d’un « H », ce qui indique que son avion était muni d’un équipement photographique portatif. R.H. Smith, J.F. Smith – cette homonymie n’a-t-elle pas prêté à confusion et induit en erreur l’officier en charge de la rédaction de ce rapport en le conduisant à attribuer à l’avion de J.F. Smith un appareil photographique embarqué en fait dans celui de R.H. Smith ? Cette supposition rend assurément plus hypothétique l’identification que nous proposons de l’appareil depuis lequel les troisième et quatrième photographies aériennes ont été réalisées, mais elle est la seule qui puisse permettre de rendre compte logiquement de leur cadrage.

Ces vues aériennes ont le mérite de montrer la zone précise ciblée par les projectiles du Box I : non pas les installations ferroviaires elles-mêmes, mais le secteur contigu aux voies ferrées, situé au sud de la gare, la première photographie aérienne donnant à voir un rare aperçu du dégagement initial d’énergie d’une 500 lb General Purpose Bomb explosant à quelques mètres de la distillerie de Domfront.
Après guerre, au cours d’une promenade, une famille domfrontaise pose devant les ruines de la distillerie de Domfront. (Coll. D. Yvetot).
Autre vue prise après guerre de ce qui reste de la distillerie. (Coll. D. Yvetot).
Les réservoirs de la distillerie utilisés par les Allemands pour stocker leur carburant. (Coll. D. Yvetot).
Nous ne possédons aucune vue aérienne des largages effectués par le Box II, mais ils visèrent la même zone. Leurs résultats furent jugés seulement « corrects », alors que ceux du Box I furent estimés « bons », voire « excellents », comme on a pu le constater. Une différence tenant sans aucun doute au fait que les nuages de poussière et de fumée provoqués par le premier bombardement gênèrent le travail des bombardiers-navigateurs du second « box ».
Le Staff Sergeant Russel J. Colosimo, mitrailleur arrière de l’A-20G 43-9743, 2A-W (Box II, Flight II, position 4), photographié le 28 avril 1944 sur la base aérienne de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat).
Le Staff Sergeant Harry T. Best (à droite). Mitrailleur arrière, il occupait la position 2 dans le Flight II du Box I lors de la mission n° 78, juste devant l’appareil du 1st Lt. Andrews (position 5). Remarquons l’inscription « Sharkbait » (« appât à requin », en fr) sur son gilet de sauvetage, la fameuse « Mae West ». (Les deux aviateurs à ses côtés restent à identifier). (Coll. F.J. Cachat).
Tout juste diplômés de la United States Military Academy de West Point, l’une des plus prestigieuses écoles militaires de l’Armée américaine, ces six élèves-officiers de la « class of June, 1943 » prirent part à la mission n° 78 du 15 juin 1944 à Domfront. De haut en bas et de gauche à droite : Tonnis Boukamp, William J. Green, Robert J. Rooney, Richard F. Shaefer, Daniel F. Shea et Michael Zubon. (Coll. U.S. Air Force, montage L. Letendre).
Vérifiant le parcours de leur mission, l’équipage au complet de l’avion-leader du Box II. De g. à dr. : le Cpt. Hulse, pilote ; le S/Sgt Stevens, mitrailleur arrière ; le 1st Lt. Conte, bombardier-navigateur, carte en main ; et le S/Sgt Allred, mitrailleur de tourelle. (Photo R. Conte).
Le 1st Lt. Ernest L. Johnson (au centre) et les S/Sgts William J. Donahue (à g.) et Marvin R. Brayn (à dr.), l’équipage du 670th BS occupant la position 6 dans le Flight I du Box I, posent devant la camera. Notons que l’avion à l’arrière-plan, baptisé « Boomerang », n’est pas celui que cet équipage utilisa lors de la mission n° 78 à Domfront. (Coll. F.J. Cachat).
Le « Denver Darling » (43-9380, F6-N) est l’avion qu’utilisèrent le 1st Lt. Ernest L. Johnson et son équipage lors de la mission n° 78 à Domfront. Photographié le 27 octobre 1944, après 67 missions de bombardement (dont une manquée), il serait intéressant de savoir quel était le nombre exact de missions accomplies par cet appareil lorsqu’il effectua celle au-dessus de Domfront le 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Après avoir largué leurs bombes, les appareils continuèrent leur route vers le nord quelques secondes puis, passé la haute ville de Domfront, mirent le cap vers le nord-ouest, suivant le même trajet que celui prit à l’aller, sans subir de tir de DCA ni rencontrer d’avions ennemis. Parvenus au-dessus de la Manche, les pilotes utilisèrent leurs deux réservoirs d’essence supplémentaires montés dans la soute à bombes pour parvenir à effectuer la distance à parcourir durant la mission (soit 547 miles ou 880 km) et rejoindre ainsi la base aérienne de Wethersfield (le réservoir principal n’offrant qu’une autonomie de 400 miles ou 644 km). Comme l’indique le rapport du Staff Weather Officer du 416th BG présenté précédemment, les avions rencontrèrent une présence importante d’altocumulus et de stratocumulus entre 4 et 6000 pieds d’altitude dans le sud de l’Angleterre et bénéficièrent d’une visibilité de 3 à 4 miles seulement au-dessus de Londres. Le premier Havoc à atterrir fut celui du Major Meng, à 19h33 exactement. Celui de notre cher First Lieutenant Andrews – qui accusa un certain retard sans qu’il ne se souvienne des raisons particulières pour lesquelles ce fut le cas – se posa en dernier, à 20h01 précisément. Mission accomplie. Tous les oiseaux étaient rentrés au nid.
De retour sain et sauf à la base à 19h44, le 1st Lt. Ralph Conte, bombardier-navigateur de l’avion-leader du Box II, a survécu à la guerre. Il est décédé le 1er avril 2016 à l’âge de 98 ans et repose désormais au Veterans Cemetery de Jacksonville en Floride. (Coll. 416th Bomb Group Archive, montage L. Letendre).
Une fois au sol, les équipages furent directement conduits dans les locaux du « Group S-2 » pour débriefer la mission avec les officiers du renseignement et ceux du « Group Headquarter » du 416th BG. De leurs côtés, les mécaniciens et les armuriers s’affairèrent immédiatement sur les appareils afin de les préparer pour une nouvelle mission.
Photographie prise le 5 août 1944 sur la base aérienne de Wethersfield d’officiers du renseignement du « Group S-2 » du 416th BG commandé par le Captain William P. Thomas. (Coll. F.J. Cachat).
Officier du « Group Headquarter » du 416th BG, le 1st Lt. John M. Bonura rédigea l’« Operational Priority Report » de la mission n° 78 du 15 juin 1944 présenté précédemment. (Coll. F.J. Cachat).
10 juillet 1944, sur une aire de stationnement de la base aérienne de Wethersfield, les mécaniciens et les armuriers du 416th BG préparent un A-20G du 671st Bombardment Squadron pour une nouvelle mission. (Notons que cet avion immatriculé 43-9956, 5C-Z, ne prit pas part à la mission n° 78 du 15 juin 1944). (Coll. F.J. Cachat).
Un rapport établi par le Captain Jack B. Cooney, Communications Officer du 416th BG (abrégé « COBOMGR 416 »), et transmis au Communications Officer du 97th Combat Bombardment Wing (« COCBTBWIG 97th ») ainsi qu’au Signal Corps (« ATT[achement] : SIG[nal] C[orps] ») rend compte de l’état des équipements de radiocommunication embarqués à bord des avions et de leur fonctionnement durant la mission.
Rapport du Captain Jack B. Cooney,
Communications Officer du 416th BG
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Ce rapport nous apprend que sur les 38 appareils mobilisés, deux seulement rencontrèrent des problèmes. L’interphone du A-20G du 1st Lt. William J. Green (Box I, Flight I, position 4) utilisé par le pilote pour communiquer avec son mitrailleur de tourelle étant hors de fonctionnement (« out »), le câblage a été vérifié et réparé. Sur l’A-20G du 1st Lt. Eldon B. Kreh (Box II, Flight III, position 2), l’interphone du mitrailleur arrière s’étant avéré faible (« weak »), il a également été vérifié. Hormis ces deux dysfonctionnements, la performance-radio des avions au cours de la mission fut jugée bonne (« Good radio performance ») par l’auteur du rapport.

Pas de victime civile à déplorer, aucune perte humaine et matérielle enregistrée par l’U.S. Air Force (seul un avion encaissant des impacts sans importance), des dysfonctionnements dans le largage des bombes certes mais des résultats obtenus excellents pour certains « flights », les derniers dépôts de carburant enfin détruits – nous pouvons affirmer que cette mission n° 78 des Havoc du 416th Bombardment Group (L) sur Domfront le jeudi 15 juin 1944 fut un grand succès et nous nous devons de rendre ici un hommage respectueux au courage admirable des 120 membres d’équipage qui réussirent à l’accomplir au péril de leur vie.
Les pilotes du Flight II du Box II au complet
Portrait de Meredith Joy Huff (alors Second Lieutenant) réalisé en 1943, le jour de la cérémonie de remise de son brevet de pilote de l’U.S. Air Force. Le 15 juin 1944, le Captain Huff était au commande de l’avion-leader du Flight II du Box II, l’A-20J 43-9450 (2A-S). (Coll. M.J. Huff).
Le 1st Lt. Joseph Kupits (2nd en partant de la g.), bombardier-navigateur de l’avion-leader du Flight II du Box II, pose devant l’A-20J 43-9450 (2A-S) baptisé « Holy Joe » et piloté le 15 juin 1944 par le Cpt. Huff (3ème en partant de la g.). (Les S/Sgts Grady F. Cope et James Thompson, mitrailleurs, respectivement 1er et 4ème en partant de la g., ne participèrent pas à la mission n° 78 du 15 juin 1944). (Coll. M.J. Huff).
Le 1st Lt. Norman V. Shainberg (1er en partant de la g.), pilote de l’A-20G 43-9390 (2A-G) et adjoint du Cpt. Huff, occupait la position 2 du Flight II du Box II. Il pose ici avec le 1st Lt. Tonnis Boukamp, pilote de l’A-20G 43-9743 (2A-W) occupant la position 4 du Flight II du Box II. (3ème en partant de la g., le 1st Lt. Norman S. Peck ne prit pas part à la mission n° 78). (Coll. M.J. Huff).
Sur ce cliché de qualité moyenne pris sur la base aérienne de Wethersfield figurent les trois derniers pilotes du Flight II du Box II : le 1st Lt. Earl E. Hayter (A-20G 43-9717, 2A-N, position 3), le 1st Lt. Jack F. Smith (A-20G 43-9189, 2A-P, position 5) et le 1st Lt. Hiram B. Clarke (A-20G 43-9961, 2A-E, position 6), respectivement 5ème, 3ème et 2nd en partant de la g. (1er et 4ème en partant de la g., les 1st Lts William F. Jr. Tripp et Leo E. Poundstone n’étaient pas présents lors de la mission n° 78). (Coll. M.J. Huff).
***
Le dimanche de la Pentecôte 1944 marqua le début des opérations aériennes alliées sur la ville de Domfront. Le dimanche de la Pentecôte 2014 se plaça sous le signe du souvenir de ces événements. Par une curieuse analogie de date, c’est en effet le dimanche 8 juin 2014, tandis que les chrétiens fêtaient le moment où, réunis au Cénacle, les apôtres reçurent l’Esprit Saint venu du ciel et se mirent à parler en toutes les langues, que se déroula à Domfront notre rencontre avec le First Lieutenant Harold Dave Andrews, Jr., pilote au sein du 671st Bombardment Squadron, qui accomplit sa 35ème mission aux commandes de son Douglas A-20G Havoc le 15 juin 1944 dans le ciel de la cité médiévale et qui, présent aux cérémonies du 70ème anniversaire du 6 juin 1944, nous fit l’honneur et le plaisir d’accepter notre invitation.

Naît à Auburn dans l’État du Maine le 30 décembre 1922 et vivant actuellement à McDonough, dans les environs d’Atlanta, capitale de la Georgie, Harold Dave Andrews, Jr. obtint son brevet de pilote de l’U.S. Air Force le 25 mars 1943 à l’âge de 21 ans avec le grade de Second Lieutenant et fut promu First Lieutenant le 22 mai 1944. Du 7 mars 1944, date de sa première mission de combat au-dessus de l’aérodrome de Conches-en-Ouches (mission avortée du fait d’un rendez-vous manqué avec la chasse alliée devant assurer la protection des bombardiers légers) au 2 décembre 1944, date de sa dernière mission à Saarlautern en Allemagne (où il fut mobilisé pour aider l’avance des troupes au sol du Lieutenant General Patton et vit son avion sévèrement endommagé par la défense anti-aérienne allemande), notre pilote compléta les 65 missions qui l’autorisaient à rentrer aux U.S.A. Ce « tour » complet effectué uniquement sur le théâtre d’opérations européen (qu’il quitta définitivement le 16 décembre 1944, dans la nuit précédant le déclenchement de la bataille des Ardennes) lui valut de nombreuses décorations. Son portrait, réalisé au château de Domfront le 8 juin 2014, nous donne l’occasion de voir la belle « veste de sortie » d’un officier de l’U.S. Air Force – pantalon, chemise moutarde et cravate beige complétant réglementairement l’« Officer Service Dress Uniform » – et d’examiner les distinctions honorifiques qui lui furent décernées pour récompenser ses mérites.
« Individual Flight Re- cord » du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. (mois de juin 1944). (Coll. L. Letendre).
« Individual Combat Re- cord » du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. (du 22 mai au 24 juin 1944). (Coll. L. Letendre).
Tableau réalisé par Harold D. Andrews, Jr. consignant ses 65 missions et leurs correspondances avec celles du 416th BG. (Coll. L. Letendre).
Portrait du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. réalisé dans le parc du château de Domfront dimanche 8 juin 2014. (Photo L. Letendre).
Légendes du portrait du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. et présentation de ses décorations militaires. (Document L. Letendre).
Cette rencontre fut un moment unique d’échange et de partage. L’accueil réservé par les Domfrontais, surpris et même fascinés par la présence de notre pilote, fut spontané et chaleureux. Nous tenons à les en remercier. 70 ans après, dans le parc du château de Domfront, du haut de la Tour de Presle dominant tout le Quartier-Notre-Dame, notre First Lieutenant – qui participa le mardi 6 juin 1944 aux opérations aériennes du débarquement en bombardant à 21 heures 25 avec 33 autres avions du 416th BG la gare de Serqueux, située à 39 km au nord de Rouen – reconnut en un coup d’œil le secteur prit pour cible le 15 juin 1944. Malgré son grand âge, sa mémoire est demeurée intacte. Et si ce retour sur le lieu de ses exploits le ravit, selon ses mots, ce fut pour nous le plus beau jour de notre vie d’historien militaire amateur.
Le First Lieutenant Harold D. Andrews, Jr. posant Place de la Roirie, devant la Mairie de Domfront, lors de sa visite le dimanche 8 juin 2014. (Photo L. Letendre).
Les soldats américains continuent toujours d’exercer la même fascination. Notons la présence d’une trace de rouge à lèvres laissée par une admiratrice sur la joue droite de notre cher pilote... (Photo L. Letendre).
Le First Lieutenant Harold D. Andrews, Jr. dans le parc Louis Blanchetière du château de Domfront regardant depuis la Tour de Presle le lieu de ses exploits. La zone cible de la mission du 15 juin 1944 se situe exactement au-dessus de l’épaule droite de notre aviateur. (Photo L. Letendre).
70 ans après, du premier coup d’œil, notre pilote identifia seul et avec précision le secteur pris pour cible le 15 juin 1944. Quelle mémoire ! (Photo L. Letendre).
Nous n’eûmes finalement besoin d’aucun document. (Photo L. Letendre).
Le First Lieutenant Harold Dave Andrews, Jr. Place Saint-Julien, devant l’église éponyme. (Photo L. Letendre).
Avec sa petite fille Stephanie, infirmière en Floride, Dave est entre de bonnes mains. (Photo L. Letendre).
Le First Lieutenant Harold D. Andrews, Jr. Place Saint-Julien, devant le magasin « Notre Monde Normand ». (Photo L. Letendre).
Son fils David est le roi des blagues osées et intraduisibles. (Photo L. Letendre).
Mais fort heureusement Erwan, notre ami et collègue professeur d’anglais, mit à notre portée la finesse de ses jeux de mots. (Photo L. Letendre).
Une profonde amitié était née, fêtée, comme il se devait, au fil de l’Orne autour d’un verre de poiré domfrontais bien frais. (Photo D. Andrews).
Le 9 juillet 2019, dans sa 97ème année,
le 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr.,
a rejoint les pilotes du 671st Bomb. Sq.
là-haut, dans le Grand Bleu.
Vendredi 23 et samedi 24 juin 1944

Une reprise brutale des opérations
A

près la tourmente des 13, 14 et 15 juin, Domfront connut une période de répit liée à la forte dégradation des conditions météorologiques qui affecta tout l’ouest de la France à partir du 18 juin. Le 19, une tempête avec des vents de force 7 à 8 se leva sur la Manche (emportant le port artificiel « Mulberry A » d’Omaha Beach) et dura trois jours, clouant au sol toute l’aviation alliée. Le 22 juin, le temps commença à s’améliorer, rendant possible la reprise de l’activité aérienne. C’est ainsi que le 23 juin au matin Domfront fut de nouveau prit pour cible par les P-47 Thunderbolt de la 9th Air Force. Vers 11 heures en effet, ils s’attaquèrent au lieu-dit du Pont-de-Caen (situé au nord de la commune) où filait la ligne de chemin de fer Laval-Caen et où la route de Flers, traversant la voie ferrée, franchissait la rivière de La Varenne en empruntant un pont. Ce croisement d’une voie ferroviaire et routière sur l’axe de circulation entre Laval et Caen faisait du lieu une cible toute désignée pour une opération d’interdiction. Bien qu’elle ait eu raison du pont, cette attaque des chasseurs-bombardiers manqua toutefois singulièrement de précision. Des quantités de bombes explosèrent dans les champs alentours, tuant de nombreuses bêtes. Mais les engins de mort n’ôtèrent pas la vie qu’aux animaux. Elles provoquèrent également le décès de Joseph Guénerie, employé à la SNCF comme garde-barrière, qui, ayant refusé de quitter sa maison, mourut près de chez lui. Ce fut l’ultime victime civile de tout le cycle des bombardements sur Domfront.

Comment s’expliquer le fait que Joseph Guénerie n’ait pas voulu évacuer ? Lui fut-il impossible de trouver une destination d’accueil dans la campagne environnante ? Très certainement pas car, avec un zèle dont il faut les louer, les cultivateurs firent preuve de solidarité et s’empressèrent de porter secours à ceux qui fuyaient le fracas des bombes. Et comme nous l’avons vu précédemment, le manoir de la Guyardière, situé à à peine plus d’un kilomètre du Pont-de-Caen, avait également ouvert grand ses portes dès le début des bombardements pour accueillir la population en fuite. Était-ce alors simplement de l’inconscience de sa part ? Encore moins. Nul mieux qu’un cheminot ne pouvait être informé des dangers que représentait le fait de vivre à proximité du réseau ferré, objet depuis des mois déjà des bombardements aériens alliés. Une seule explication semble en définitive s’imposer. L’héritage de 1940 et de ses traumatismes. Bien des gens refusèrent en effet l’évacuation, même après les premières attaques, se souvenant des pillages consécutifs à l’exode de juin 1940. Ils préférèrent rester plutôt que fuir en abandonnant tout derrière eux. C’est sans doute cette crainte du pillage, que partageaient également Sœur Jeanne et Germaine Renard à l’époque, qui poussa Joseph Guénerie à refuser l’évacuation, même amplement justifiée par les événements. Ce qui lui coûta certainement la vie, malheureusement.

Le lendemain, le dernier raid d’envergure du mois de juin fut lancé sur Domfront. Il visa la gare elle-même et ses installations. De quoi s’assurer pour la 9th Air Force – et les P-47 Thunderbolt qu’elle mobilisa de nouveau pour cette opération – qu’après plus d’une semaine d’inactivité dans le ciel de la ville, ce qui représentait plus de temps qu’il n’en fallait pour réparer les voies et rétablir un trafic normal, le fonctionnement du réseau ferroviaire restait bien entravé. Car, comme le rapporte Sœur Jeanne dans son Journal à la date du 25 juin (ces propos permettant également de comprendre l’hostilité manifestée par Joseph Guénerie à l’idée d’évacuer son domicile) : « tous les chemins, tous les herbages, sont remplis de gens de l’Organisation Todt. Il y en a dans les granges. Il y en a dans les cours de ferme. Ils furètent partout et chaque fois qu’ils le peuvent, ils se servent sans vergogne. La famille Roussel est aux cent coups, obligée de faire bonne garde pour sauver ses biens du pillage ». C’est donc dans les rangs de l’Organisation Todt employant la main d’œuvre nécessaire aux travaux de réparation des voies ferrées qu’on trouvait, aux côtés des Allemands, ceux dont les Domfrontais eurent à supporter les méfaits, eux qui avaient déjà à endurer une épreuve qu’on a bien du mal à se figurer aujourd’hui, nous qui nous réjouissons de la paix.

Vue du lieu-dit Le Pont-de-Caen dans la vallée de la Varenne. Au premier plan, la barrière que les agents de la SNCF faisaient rouler sur un rail prévu à cet effet pour empêcher les véhicules de franchir les voies ferrées (rail invisible sur cette carte postale du fait de la surimpression du nom de son éditeur et de celui du photographe). À gauche de la barrière, la maison de Joseph Guénerie. À droite, à hauteur des personnes présentes sur ce cliché, la rivière de la Varenne et le pont qu’empruntait la route de Flers pour franchir le cours d’eau. (G. Hubert, Éditeur).
Né le 8 mai 1887 à Champéon dans le département de la Mayenne, Joseph Jean Clément Guénerie fut l’ultime victime civile du cycle des bombardements sur Domfront. Refusa-t-il de quitter sa maison parce qu’il se souvenait des pillages consécutifs à l’exode de juin 1940 ? (Coll. J. Thierry).
Conclusion
S

i l’on ajoute aux dix bombardements des mois de mai et juin que cette étude s’est attachée à décrire, certains avec force détails, d’autres de manière moins complète (le lecteur comprendra que des choix furent nécessaires), celui qui se déroula le 1er août 1944 lorsque vers 9 heures 30 des Lockheed P-38 Lightning de la 9th Air Force, s’acharnant pendant dix minutes sur leur cible, mitraillèrent et bombardèrent de nouveau la gare de Domfront, suivis à 17 heures de De Haviland DH-98 Mosquito de la RAF qui larguèrent quelques bombes seulement sur le même objectif, c’est en tout onze bombardements sérieux que la ville de Domfront subit au cours de la bataille de Normandie. Ceux du mois de juin furent les plus marquants, dévastant la cité jusqu’en son cœur. Des maisons ruinées. Des quartiers d’habitation totalement anéantis. Des monceaux de gravats et de débris obstruant des rues défigurées, totalement méconnaissables. Et l’horreur qui s’installe quand des civils sont atteints dans leur chair. 37 en tout, fauchés en un instant par la cruauté de la guerre. Quelle amertume, quelle colère durent ressentir ceux qui virent ainsi le fruit d’une vie de labeur envolé en un rien de temps et perdirent des êtres chers pour l’éternité. Et pourtant, les habitants de Domfront témoignèrent de la gratitude à ceux qui peu de temps auparavant les bombardaient, la libération permettant d’accepter ce sacrifice et venant apporter un peu de baume aux blessures. Cette acceptation des attaques aériennes par ceux qui y survécurent mérite tout notre respect. Il n’est pas sûr que nous réagirions ainsi sous les bombes de pays amis.


Remerciements
J

e tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à Harold Dave Andrews, Jr. qui, comme beaucoup d’autres, est entré dans ce drame que fut la Seconde Guerre mondiale et a accepté volontiers de me faire partager son expérience de jeune pilote à travers nos différents échanges et notre rencontre du dimanche 8 juin 2014. J’aimerais également remercier David et Stephanie, son fils et sa petite-fille, sans lesquels cette rencontre n’aurait pu avoir lieu, ainsi qu’Erwan Lévénez qui a bien voulu me servir d’interprète, palliant ainsi les imperfections de mon expression en langue anglaise. Je voudrais aussi remercier les archives et archivistes qui m’ont fourni la matière brute de mes recherches. Stéphane Robine, des Archives départementales de la Manche, qui m’a permis de découvrir l’erreur de navigation du 14 juin 1944, et Wayne G. Sayles, du 416th Bomb Group Archive, dont le travail de conservation et de communication s’est avéré aussi précieux que sa coopération a été chaleureuse et généreuse. J’ai une dette spéciale envers Daniel Yvetot qui m’a confié sa retranscription du Journal de Sœur Jeanne et m’a ouvert sa collection unique de documents iconographiques, ainsi qu’envers Annette Bielec qui m’a fait don d’une série de clichés inestimables. Toute ma reconnaissance va à Jean-Philippe Cormier qui m’a encouragé tout au long de ces recherches, me faisant part de critiques constructives et m’ouvrant de nouvelles perspectives. À Christian Jenvrin, qui m’a constamment assuré de son soutien. À Christèle Savary, Michel Marguerite, Serge Ridard, ainsi qu’à tous mes collègues et ami-e-s qui ont concouru à leur manière à la réalisation de cette étude.

© 2014 L.LETENDRE
Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.
(Dernière mise à jour : juillet 2019)

Notes

[1Inédit, le Journal de Sœur Jeanne est conservé par la Congrégation des Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron, dans le département de la Mayenne.

[2Recueilli en janvier 1945 par René Herval, ce récit est publié sous le titre « Domfront : un enjeu féodal » dans La Bataille de Normandie, Récits de témoins, tome 1, Paris, Éditions Notre temps, 1947.

[3G. Renard, À Domfront sous les bombes, 24 mai-24 août 1944, Récit vécu, Paris, Éditions Jouve et Cie, 1946.

[4A. Rougeyron, Agents d’évasion, Alençon, Maison Poulet-Malassis, 1947.

[5G. Bourdin, B. Garnier, Les victimes civiles de l’Orne dans la bataille de Normandie, 1er avril-30 septembre 1944. Récit des événements et liste mémoriale, Centre de Recherche d’Histoire Quantitative, Université de Caen-CNRS, Cormelles-le-Royal, Éditions du Lys, 1994, p. 13.

[6The National Archives, AIR 37/516, « Operation Overlord » : Delay and Disorganisation of Enemy Road Mouvement.