Y a-t-il des vérités absolues ?

Le point de départ de la recherche de la vérité est la reconnaissance de sa propre ignorance. Devant le spectacle de l’Univers, l’homme est en effet frappé d’étonnement et contraint d’avouer son incompréhension. Pour échapper à cette ignorance, il s’est donné comme but de connaître la nature profonde des choses et de comprendre leurs causes. Or la science, de même que les grandes doctrines religieuses et métaphysiques ont prétendu pendant des siècles être en mesure d’offrir un savoir permettant de parvenir à la vérité ultime. L’homme est peut-être provisoirement dans l’erreur et l’illusion, mais une montée progressive vers le vrai, loin du champ des apparences, est possible. C’est la thèse défendue par Platon. Sous les apparences des choses, le philosophe grec postulait en effet l’existence d’essences permanentes susceptibles d’être connues par la raison. Immatérielles, éternelles et immuables, ces essences constituent d’après lui la structure fondamentale de la réalité. Or, au terme de longues études commençant par l’arithmétique et s’achevant par l’astronomie [1], il estimait que la pensée était en mesure de déboucher sur la réalité intelligible suprême en découvrant le principe universel de tout ce qui est, cet objet final de l’intelligence qu’il appelle au Livre VI de La République « l’Idée du Bien » [2]. Échappant à toute limite, Platon pensait donc l’intelligence capable de parvenir degré par degré à la vérité ultime et au savoir absolu.

Mais n’exagère-t-on pas la puissance de la connaissance humaine lorsqu’on la croit capable d’atteindre la vérité suprême ? N’est-ce pas un objectif démesurément ambitieux auquel il faut renoncer ? Les révolutions scientifiques qui se sont succédées depuis l’entrée dans la modernité ont contribué à déprécier les systèmes de pensée professant leur savoir comme certain et total. Faisant naître le soupçon sur le bien-fondé des dogmes religieux, elles ont également fait prendre conscience de l’allure approximative et incertaine du savoir scientifique lui-même. Dépendant directement de l’évolution des théories et des progrès de la technique, la compréhension que les scientifiques se font de la réalité ne cesse en effet d’être rectifiée, ce qui montre qu’on aurait tort de prêter au savoir acquis scientifiquement une valeur absolue mais qu’on doit au contraire bien mesurer sa fragilité. Les scientifiques d’aujourd’hui l’ont du reste compris, eux qui ont renoncé au titre pompeux de « savant » et lui préfèrent celui, plus humble, de « chercheur ».

À notre époque donc, parmi les philosophes comme parmi les scientifiques, on s’oriente de plus en plus vers une conception dynamique et ouverte de la vérité, celle-ci n’étant au fond que le reflet de notre condition très humaine d’être vivants conditionnés par le contexte dans lequel nous sommes immergés. Loin d’être absolue et éternelle, la vérité est relative et se modifie avec le temps. Elle n’est pas quelque chose de présent qu’il faudrait trouver ou une prise de conscience de quelque chose qui serait fixe ; elle est quelque chose qui doit être créé, en un processus dialectique sans fin. Paul Valéry disait avec raison : « Les vérités sont choses à faire et non à découvrir. Ce sont des constructions et non des trésors ». [3] La vérité est un chemin tracé par l’esprit humain à travers la réalité et sa recherche, un pèlerinage à jamais inachevé, car on ne pourra jamais être sûr d’avoir atteint la raison dernière de quoi que ce soit. L’honneur de la science actuelle est d’ailleurs de ne pas établir des vérités définitives mais de s’exposer constamment au démenti. Elle se distingue par là des idéologies et des religions et c’est ce qui fait d’elle un savoir exemplaire.
La recherche de la vérité, un embarquement sur une mer infiniment ouverte.
© 2010 L.LETENDRE
Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.

Voir en ligne : Douter, est-ce renoncer à la vérité ?

Notes

[1Selon le programme d’études esquissé dans le Livre VII de La République et dans l’Épinomis.

[2Platon, La République, Livre VI, 508 e, trad. R. Bacou, Paris, Flammarion, coll. « GF » (n° 90), 1966, p. 266.

[3P. Valéry, Cahiers (1894-1914), Tome VIII : 1905-1907, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2001, p. 319.