Le secret de l’être (3/3)

Dans la proximité d’un mystère impénétrable

Pour philosopher, point n’est besoin de se consacrer uniquement à de longues lectures, à des débats contradictoires ou à la rédaction de dissertations. En marchant, on peut aussi faire l’expérience de certaines dimensions qui sont d’une très grande richesse et constituent des objets de pensée précieux pour la philosophie. « Rester le moins possible assis : ne prêter foi à aucune pensée qui ne soit pas née au grand air, pendant que l’on prend librement du mouvement – à aucune idée dans laquelle les muscles ne soient eux aussi à la fête. Tous les préjugés viennent des entrailles. Être "cul de plomb", je l’ai déjà dit, voilà le vrai péché contre l’esprit » écrivait Nietzsche dans Ecce homo [1]. C’est ainsi que le 8 janvier 2010, profitant d’un moment de liberté, nous nous sommes échappé des livres, des bibliothèques et des salles de classe pour marcher dans le parc du château de Domfront-en-Poiraie et nous rendre simplement disponible à la pensée.

Dans la clarté lumineuse d’un pur ciel d’hiver dans laquelle des arbres aussi hauts que sombres montent, dans la stricte simplicité des étendues recouvertes d’une profonde couche de neige, on se trouve invité à une attitude paisible où la pensée est toute entière investie par un don primordial qui suscite une reconnaissance sereine et admirative.
Ce don, c’est celui de l’être qui ne cesse de proposer sa présence et son avènement à la pensée méditante. L’être, dont la lumière mystérieuse dévoile tout ce qui est présent, est la question la plus large et la plus profonde, la plus originelle et la plus universelle, la plus extraordinaire et la plus simple.
En ce questionnement, nous sommes acheminés vers l’abîme vertigineuse de l’origine où tout reflue, vers le jaillissement toujours oublié dans lequel pourtant tout se trouve déjà pris. Dans cette magnificence du simple demeure le centre jamais fixable et l’essentiel toujours énigmatique.
La tâche de la pensée méditante est de se rendre attentive à la simplicité mystérieuse de ce don originaire. À cette tâche, elle doit s’employer par un questionnement jamais lassé et un étonnement toujours neuf devant le surgissement de ce qui se tient dans la lumière de l’être.
© 2010 L.LETENDRE
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Notes

[1F. Nietzsche, Ecce homo, chap. 2, trad. J.-C. Hémery, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais » (n° 137), 1990, p. 115.