Le secret de l’être (1/3)

L’étonnement philosophique

Aristote a dit au début de sa Métaphysique : « Ce fut l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques ». [1] Pour comprendre la nature de cet étonnement qui fait office de point de départ de la philosophie, il est nécessaire de le distinguer de l’étonnement au sens ordinaire du terme. En effet, si l’étonnement au sens usuel est provoqué par le caractère inattendu de phénomènes que l’on ne parvient pas à expliquer, il n’en va pas de même dans l’étonnement philosophique. « Avoir l’esprit philosophique expliquait Arthur Schopenhauer, c’est être capable de s’étonner des événements habituels et des choses de tous les jours, de se poser comme sujet d’étude ce qu’il y a de plus général et de plus ordinaire ». [2] Avoir l’esprit philosophique, c’est effectivement s’étonner de tout. C’est faire de la plus simple des choses existantes une source vive de méditation. C’est jeter sur la moindre pierre, la moindre fleur, un regard suffisamment neuf pour que se révèle tout le mystère de leur simple présence. Alors que pour l’homme pris dans l’ordinaire de la vie quotidienne l’existence des choses va de soi et ne fait pas question, celui qui s’étonne au sujet du réel s’ouvre à une nouvelle expérience du monde et se tient dans une autre attitude face à lui, celle qui, par-delà l’épaisse somnolence de la pensée habituée, ne cesse d’interroger le secret de l’existence jusqu’aux plus extrêmes limites de l’approfondissement possible.

Ce ne sont donc pas des phénomènes insolites qui font naître l’étonnement philosophique, c’est le recul pris soudainement devant l’existant. Ce recul fait éclore un rapport métamorphosé avec le monde. Laissant en suspens la banalité de la vie quotidienne, il donne l’éveil à une prise de conscience nouvelle qui, ramenant le monde à son étrangeté jusqu’alors oubliée, conduit l’homme à se questionner sur ce qu’il y a de plus essentiel à penser, l’énigmatique présence de ce qui est.

À suivre...
Le secret de l’être (2/3) : La question de l’être.
La philosophie est fille de l’étonnement.
« S’étonner : voilà un sentiment qui est tout à fait d’un philosophe.
La philosophie n’a pas d’autre origine ». (Platon, Théétète, 155d).
© 2010 L.LETENDRE
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Notes

[1Aristote, Métaphysique, t. 1, A, 2, 982b 10, trad. J. Tricot, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothèques des textes philosophiques », 1991, p. 8-9.

[2A. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, Supplément au Livre premier, chap. 17, trad. A. Burdeau, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 852.