Mantra de l’esprit ; La hiéromite ; etc. (textes libres de Geoffroy Cormier)

Mantra de l’esprit

Il est une cité
Engloutie sous des vagues
Des vagues de haines vagissantes.
L’homme perdu cherche son chemin
La carte habile trouve la route dans la lande desséchée
Les larmes du mort coulent dans ses orbites creuses
Pourquoi cette mouette rie-t-elle ? De qui te moques-tu, hyène ?
L’ombre de la montagne toujours plus loin s’étend.
L’eau, en fins filets de fragments cristallins,
Se répand dans la noire tourbière.
Aussitôt dit, aussitôt fait !
Où te caches-tu, lendemain ?
L’ombre masque les odeurs exubérantes de l’envie
Ici et là passe le temps
Papillon déluré osant tout et ne faisant rien.
Ici, c’est le panthéon, apothéose !
Là, c’est le tombeau, nécrose !
Rien n’est tout ce que je veux.
Ceci et cela, en rien n’est vouloir.
Exhumer les profondeur corrompt l’idée présente,
L’abysse est lente, chienne de pierre !
Le dragon quitte les méandres stellaires,
Une pluie de perles de culture, tombant sur la nuit.
Que veux-tu dire ? Où dit-il ? Pourquoi dire pourquoi ?
Pour quoi dire pourquoi ? Le chant du sphinx éreinte
Le saule émacié, ployant sous la charge de ses feuilles.
Comment comptes-tu fondre sur lui, ombre profonde ?
Tu ne peux pas ! Acre albâtre douceâtre,
La fumée roule, le temps passe, l’eau s’échappe.
Les chatons chargés de rubis, de saphirs et d’émeraudes,
Aux doigts crochus des saules miaulent doucement.
Mais soudain ! Quoi ? Pourquoi me lis-tu ?
Je ne suis ni bon ni mauvais, cela ne dépend que de toi.
Le miroir au teint terne, rajuste le col de son tain de jais.
Où es-tu ? Où es-tu ? Allons, je ne vais pas te manger...
Le loup a la dent creuse.
Serpent ailé, s’agitant dans les flots hurlants,
La vague d’écume rougeoie de colère en déferlant.
Quelle honte ! Quelle infamie ! Quel scandale !
La flore abandonne ses enfants : les fleurs, leurs pétales,
La gente mycélienne, ses spores, l’arbre, son fruit,
Ô misère, le fruit de ses entrailles ! Le sang de sa sève !
Comment ? Comment ! La flamme baisse ?
Il faut la combattre, la laisser s’étendre, se reposer.
Va t’en, chimère ! Je n’ai pas besoin de toi pour mourir !
Quelle est cette faille qui éventre le ciel ?
C’est ton caveau !
Sors de ma chambre, laisse-moi dormir !
Ta déréliction me fait de la peine, loup de mer.
À jamais condamné à errer sur le sentier boueux,
Le montagnard hurle à la mort.
Et moi, je te suis, monde ! Et seule je connais ta véritable nature...

La hiéromite

La hiéromite est une demoiselle bleue
Aux ailes délétères
Qui papillonne le long des beaux golfes clairs
De grands marais bourbeux.

Beau est son vol et harmonieux est son chant,
Ses douces branchioles
Langoureusement et doucement somnolent
Dans les aires du temps.

Elle se nourrit seulement de coloquintes
Fruit jaune acidulé
Que l’on trouve uniquement dans les blancs névés
Ou dans les champs d’absinthe.

Elle pond des grappes d’œufs pourpres ovoïdes
Derrière les feuilles
S’en dégagent des chenilles alcaloïdes
Pourvues d’un seul gros œil.

Puis elles deviennent de belles hiéromites
Voletant au ciel
Et telles de saturniens aérolithes
Elles tombent, mortelles.

La hiéromite est une demoiselle bleue...

Le temple de l’ombre

Viens, écarte les ténèbres,
Trouve le chemin parmi les ombres :
L’abyme est sous tes pieds.
Approche, guerrier célèbre,
Marche sur la pierre sombre.
Fi du feu, il n’y a que fumées,
Voiles qui masquent les voies sanglantes
Du passé, les légendes
Meurtrières d’autrefois.
Si la lumière gluante,
Tu désire qu’elle se répande,
Alors n’approche pas !

Temple de l’ombre, horreur enfouie,
Temple de l’ombre, glacé il découvre
De ton âme la noire partie
Temple de l’ombre, déjà la recouvre...

Allégories

Le printemps est un beau et joyeux nouveau né
Qui regarde le monde de ses yeux bleus ; il
Enchante par ses doux gazouillis et babils,
Mais il est d’une sordide fragilité.

Les forêts sont de belles demoiselles vertes
Tendres et douces nymphettes toujours alertes
Lumineuses ou ténébreuses bucoliques
A jamais rêveuses, pensives, romantiques.

L’été est un jeune est turbulent foletti
Qui gambade, ami de Dionysos, et aussi
De Déméter ; annonciateur de temps torrides,
De chaleur, de vin et d’amour il est avide.

L’automne est un ancien et triste chanteur.
Lui, autrefois ménestrel aux souffles épiques
De qui, éthéré, gris, sombre et mélancolique,
Est à jamais disparue la belle grandeur.

La mer est une femme caractérielle
Qui, dans ses ires ravageuses, par le fond
Envoie fiers bâtiments et navires rebelles,
Dans les abysses et les abîmes profonds.

L’hiver est un vénérable vieillard blanc
Aux cheveux de neige, au regard de givre froid,
Possédant un souffle glacial et pénétrant
Qui couvre le monde d’un linceul de frimas.

Une histoire égyptienne

Le jeune Touthmotep courait. Il lui fallait se dépêcher de rattraper les tomates que lui lançaient les serviteurs du toit du palais. Il ne voulait en laisser aucune se gâter dans la poussière, et il les relançait aux membres de la famille royale et aux conseillers les plus importants, qui les rattrapaient au vol. La reine sa mère, Nephtis, devait en avoir quatre. Pharaon, cinq. Ses sœurs, Eknete et Anestis, trois chacune. Sekhmet observait Touthmotep d’un air réprobateur. En effet, elle considérait que ce jeu était futile et dégradant. Seth, lui, boudait à sa place de la longue table, sous l’auvent de lin blanc. Il n’avait effectivement reçu aucune tomate. Osiris, son frère, devait en être à sa dixième.

« Ça suffit ! » ordonna Pharaon. Aussitôt, la pluie de tomates cessa et les serviteurs se hâtèrent de récupérer celles qui étaient encore au sol. Touthmotep était en nage. Une esclave lui apporta un bol d’eau qu’il but d’un trait et une serviette dont il s’épongea, rendant suffisamment d’eau pour remplir le bol qu’il venait de vider.

Pharaon chassa l’esclave d’un geste de la main, prit son fils par les épaules et lui dit :
« Mon fils, tu seras un grand pharaon, il ne peut en être autrement. Ta performance au jeu d’Akenmeth dépasse de loin mon propre record. » Ils montèrent sur la dune qui leur faisait face, et, de son sommet, observèrent la vallée en contrebas.

« Regarde et apprends, fils, commença Pharaon, cette belle et verdoyante vallée ne nous est offerte que par la grâce d’Apis, loué soit-il ! Le fleuve, l’Iral, est notre richesse. Un jour, tout ceci sera à toi. Prends bien garde au fleuve, sans lui, nous ne sommes rien. » Ils restèrent un instant côte à côte, songeurs. Les feux du soleil commençaient de décroître. Une fois qu’il fut réduit à l’état d’un disque ensanglanté, Pharaon sortit de sa torpeur et s’exclama : « Par Amon ! rentre, il se fait tard. »

Touthmotep se hâta de gagner la fraîcheur du palais. Il prit un couloir à gauche et traversa le corridor poussiéreux qui menait à la salle du trône. Une fois entré dans cette salle, il s’installa, pensif, sur le trône, avant de se rendre compte, horrifié, du sacrilège qu’il venait de commettre. Il remarqua une tenture à sa gauche. Une salle qu’il n’avait jamais explorée ! Il écarta la tenture rayée verticalement de blanc et de rouge, plein d’enthousiasme, et fut un peu déçu. La pièce était petite, encombrée de meubles en bois gravés de symboles sacrés, de bols et d’encens. Une petite niche contenait une armoire renfermant sans doute une statuette d’Amon-Râ ou d’Horus. Les murs étaient tapissés de hiéroglyphes, parmi lesquels il reconnut les cartouches de ses parents, Nephtis et Amentouthep, et tout en bas, il vit un cartouche vide. « Le mien... » pensa-t-il, son cœur faisant un bond dans sa poitrine. Il allait partir lorsqu’un détail retint son attention : sur le mur qui faisait face à la tenture, un œil d’Osiris était coupé en deux, on n’en voyait que la moitié. Il observa le mur avec attention, poussa de toutes ses forces le mur à côté de l’œil, rien n’y fit. Il s’effondra épuisé dans la poussière. Se redressant et s’époussetant, il s’appuya contre la paroi à quatre pieds de l’œil. Celle-ci tourna alors brusquement sur elle-même, l’envoyant s’étaler dans une salle encore plus poussiéreuse. Touthmotep se releva en maugréant et observa la pièce obscure. L’œil était enfin complet : il était peint sur un angle de mur. La lumière se diffusait à peine par l’ouverture secrète, et il ne pouvait jauger les dimensions de la salle. Cependant, à un pas sur le sol devant lui, il apercevait des caisses en bois, dont le couvercle semblait ouvert. Piqué par la curiosité, il s’approcha pour s’apercevoir que les caisses étaient remplies de jouets. Des centaines de poupées en terre cuite, de chevaux à roulettes en bois, de jeux de serpent, de toupies... Son cœur se serra, des larmes lui montèrent aux yeux : il était pris par la nostalgie d’une enfance déjà révolue. Il quitta la pièce, referma le mur et, sans rien dire à personne, monta se coucher.

Quelques années passèrent. Touthmotep était installé sur le trône et discutait avec un homme en pagne de lin blanc, qui portait une épée de bronze attachée à un rudimentaire cordon de cuir. Pharaon entra et devint livide. Il avait beau être un vieillard de 43 ans, il n’en était pas moins le souverain. Son fils était sacrilège. Il se mit à vociférer : « Que fais-tu là ? N’as-tu point honte ? Si Osiris te voyait ! » L’homme au pagne se retourna alors et toisa Pharaon de toute sa hauteur. « Je suis là et je ne suis pas particulièrement choqué... » Il montra son fils à Pharaon. Touthmotep portait une armure de cuir rouge. « Des envahisseurs sont dans le palais, Pharaon. Revêtez votre armure et suivez-moi. » Il ouvrit une armoire et Pharaon, aidé par son fils et Osiris, revêtit une armure bleu lapis-lazuli. Il prit son épée en bronze et suivit Osiris à travers le dédale des couloirs du palais. Dans une salle éclairée par des flambeaux, ils s’arrêtèrent sur des traces d’affrontement : au sol, une épée à la poignée bleue ornée d’or sculpté et à la lame en un métal gris qu’ils ne connaissaient pas ; une coiffe en tissu bleu brodé de fil rouge et or et cerclée d’une plaque de bronze sculpté, sur sa partie évasée ; un bout de plaque en bronze sculpté lui aussi qui devait recouvrir un flanc ou une hanche. « Mmmh » marmonnèrent Pharaon et Osiris. « Des Hittites ». Pharaon semblait découragé, épuisé. Osiris réfléchit un moment, puis appela des gardes. Deux vinrent. Il leur ordonna de se saisir de Pharaon, et lui dit « Vous êtes destitué, vous n’êtes plus en état d’être pharaon, Amentouthep. » Pris d’un violent accès de rage, Amentouthep se débattit et les gardes durent le plaquer contre un mur. Osiris leur ordonna de le garder ainsi jusqu’à ce qu’il se calme et qu’il accepte la réalité.

Osiris quitta la pièce, monta aux étages, traversa un palier à colonnes et arriva dans une salle avec une ouverture noire sur un mur, deux flambeaux et un autel. Un prêtre hittite semblait vouloir convertir le lieu et écartait les bras en l’air en marmonnant des formules cabalistiques. Osiris tira son épée, et en l’entendant, le prêtre hittite, tout de bleu vêtu, tira son épée finement sculptée et se rua sur Osiris. Celui-ci fit un écart au dernier moment et plongea son glaive dans l’abdomen offert du Hittite, qui s’effondra. Par l’ouverture noire apparut alors une femme en blouse blanche. Elle adressa un salut cordial à Osiris, et celui-ci lui demanda comment cela se passait de l’autre côté. Elle lui répondit que c’était la routine, mais qu’il ferait mieux de ne pas s’y aventurer. Osiris répondit « Pas besoin de tels avertissements. Mieux vaut ne pas trop y traîner lorsqu’on fait partie des 4400... »

 Épilogue-

Un marché aux abords du palais. Une foule dense et hétéroclite se déplace avec difficulté entre les étals couverts d’auvents blancs, bleus ou rouges. Ici et là, on aperçoit une équipe de cameramen avec une grosse caméra de cinéma, en short et T-shirt, l’air de touristes mais en réalité concentrés sur leur travail. L’un pointe le doigt pour montrer quelque chose, ils règlent les plans. Un homme à casquette crie « Bravo les gars ! C’était très bien ! On la garde ! » dans un porte-voix.
« Jack ? Jack ! »
« O’Neil ! »
Teal’k et Daniel Jackson fendent la foule.
Une équipe de danseurs espagnols quitte le plateau.
L’image se fait floue et instable... Rouge.

En ce temps-là

En ce temps-là sous le soleil,
Au pays de Kamigawa,
Pendant une paix sans pareille,
Régnaient les vertus et la foi.
Le peuple révérait les kamis,
Divinités de toutes sortes,
Et craignait par dessus tout les onis,
Terribles démons qui se pressent en sombres cohortes.
Mais à cette époque régnait l’harmonie,
Nullement troublée par les onis.
Quand soudain, le voile des mondes se déchire,
Des esprits abattent un très grand samouraï avec ire,
Des gobelins akki, un monstre glacé fuient,
A Minamo on se bat contre des furies.

Elle tombe, la feuille du pommier, sous le vent qui se lève,
Tandis qu’un nouvel ordre, dans les plaines s’élève.

Enfin le pis vint, un village par des kamis fut ruiné,
De tous les habitants, peu purent en réchapper.
Puis l’origine du crime fut révélée,
Le daimyô Konda un kami a enlevé.
Ce kami lui conférait force, vigueur et sagesse,
Aux murailles une nouvelle robustesse,
Et Eiganjo, sa citadelle, en bénéficiait,
Car les kamis, malgré leur rage, s’arrêtaient toujours à ses pieds.
Il advint alors la guerre des kamis.
Au puissant cri de Teraschi,
Tous se jettent à terre,
Ecrasés par la peur,
Englouti par la peur,
Le cœur du poète a une pensée amère.
Ainsi les jours passent,
Et quelques fois un homme trépasse.
Mais un jour, les kamis, lassés de leur attente,
Trouvent entre eux une entente :
Ils veulent qu’Eiganjo soit dévastée, le daimyô châtié,
Et reprendre celui qui leur a été enlevé.
Et les hommes que la peur tenaille,
En rang se pressent à la bataille,
Pour protéger, piétaille ou samouraïs,
D’Eiganjo les murailles.
Un officier hurle "en position !",
Quand soudain le tonnerre gronde tel un coup de canon,
Un éclair zèbre le ciel,
Signe d’une bataille sensationnelle.
Et tombe une pluie fine et pénétrante,
Atrocement glaçante.
Et les soldats se tiennent en rang,
Tandis qu’en face les kamis déchaînés vont de l’avant.
Et les hommes serrent leur courage
Bien fort contre leur cœur, contre leurs os,
Car l’attente d’un carnage,
Quel qu’il soit, met les nerfs à fleur de peau.

Elle tombe, la feuille du pommier, sous le vent qui se lève,
Tandis qu’un nouvel ordre, dans les plaines s’élève.

Enfin, le signal de la bataille dont aucune vie n’est exempte
Est lancé, et tous, kamis et humains, se jettent dans la tourmente.
Le sabre siffle en emportant le sang
Où tinte en s’entrechoquant avec crocs et griffes,
La mort brise le temps,
Et taille dans le vif.
Quand soudain naît un espoir tardif,
Car sous le sabre ou sous la griffe,
Nombre de têtes, de membres volent,
Le sang gicle sur le sol.
Plus que jamais le voile des mondes se déchire,
Car partout règne une idée : l’ire.
Tuez ! Tuez ! Soyez en nage !
Tuez ! Tuez ! Incantez mages !
Tuez ! Tuez ! que ce carnage
On se souvienne à travers les âges.
Et le croqueur d’os survole le champ de bataille,
Dans la plus totale pagaille.
Et il produit des craquements sinistres,
Tels le bruit d’un triste sistre.
Quand, la bataille faisant rage,
Au faîte des carnages,
Sous la griffe, dans les bras de Takeno,
A la porte d’Eignjo, tombe le vaillant Hatamoto.
O terrible désespoir !
Destins ! Que fait votre pouvoir ?
Enfin, de part et d’autre, les belligérants se retirent,
Pendant qu’au sol, leurs camarades expirent.
Il n’est ni vainqueurs, ni vaincus,
Si ce n’est que la terre saigne un peu plus.
Elle tombe, la feuille du pommier, sous le vent qui se lève,
Tandis qu’un nouvel ordre, dans les plaines s’élève.
Pendant combien de temps la terre entendra-t-elle
La complainte des âmes ?
Combien de fois encore écoutera-t-elle
Le chant des lames...